Les défenseurs de la slow fashion doivent manger leur chapeau, Burberry, qui a défilé avant-hier à Londres, a appliqué le mouvement " see now bye now " qui secoue la planète mode. C'est à dire la mise en vente des collections de la saison future immédiatement après le show. D'aucuns évoquent encore le concept de " ready-to-show, ready-to-wear, ready-to-go " annoncé lors de la dernière fashion week new-yorkaise par Burberry donc, mais aussi Tom Ford, Tommy Hilfiger, Chloé, Michael Kors, Paco Rabanne et d'autres qui leur emboitent le pas pour les prochaines saisons. Jusque là présentées six mois à l'avance aux seuls professionnels -acheteurs et journalistes-, le rythme des collections a été bouleversé par les bloggeurs et les bloggeuses qui alimentent les réseaux sociaux sans aucune logique temporelle, ni respect d'embargo, idem pour les marques qui utilisent de plus en plus Instagram, Pinterest, YouTube, Facebook, Snapchat... pour se faire voir et se faire aimer en déployant des flots d'images, et surtout pour ne pas être débordées par le pouvoir de la blogosphère. " Nos clientes ne pensent pas en termes de saisons, elles pensent juste à ce qui leur va bien et à ce qu'elles adorent ", a justifié Michael Kors à New York présentant au cours de son fashion show de janvier dernier des vêtements et des accessoires disponibles immédiatement sur son site internet et dans son flagship store de Madison Avenue, en attendant une diffusion planétaire.
Cette révolution court-circuite la presse qui devient un intermédiaire et un filtre obsolètes, idem pour les acheteurs censés sélectionner les modèles et accessoires pour les différents circuits de distribution. Pire, elle bouleverse l'organisation routinière d'un système de la mode jugée inopérant et confusant pour des consommateurs calés sur le tempo de l'achat impulsif. " Dans un monde qui est devenu de plus en plus instantané, la façon actuelle de présenter une collection six mois avant qu'elle ne soit disponible pour les clients est une idée datée et qui n'a plus de sens ", a déclaré Tom Ford.
Cette " fronde " des marques et des créateurs posent de gros problèmes de légitimité pour les salons professionnels, les détaillants multimarques et les grands magasins, sans parler des contrefacteurs et des copieurs réduits à la diète créative par ce changement inopiné de calendrier. Certains hurlent à l'hérésie et parient sur la mort prématurée d'une " fast fashion exhibitionniste et opportuniste ", une mode de consommation immédiate qui risque de tuer la création avec la présentation de pièces uniquement commerciales. Il n'empêche, elle permet de pointer les contradictions d'une industrie de la mode transformée en industrie du spectacle : depuis plusieurs années déjà, les marques ne considèrent plus le défilé de mode comme une présentation stylistique formelle des collections, mais comme une véritable mise en scène théâtrale et puissamment photogénique où paradent les peoples et les stars dans l'escalade de décors et de lieux insolites.
Dans une économie de l'instantané qui impulse des nouveaux produits et de nouveaux concepts en flots continus, dans une économie de la connectivité où les réseaux sociaux dominent les médias, il importe de rebouter nos logiciels pour s'adapter à une accélération qui nous enchante et nous effraie. Une accélération qui aussi ne fait qu'accroître notre dépendance à une consommation obsolescente pas très rationnelle dans un monde fini. Une aberration ou une opportunité ?
Images : D.R.