Dans quelques heures, ce mardi 23 février 2016, ceux qui nous " gouvernent " vont donner le feu vert pour que les " forces de l'ordre " et les bulldozers rasent la zone sud de la jungle de Calais.
L'État, qui procède par " estimation ", juge qu'entre 800 et 1 000 personnes vivent sur cette zone sud du bidonville sont à reloger. L'Auberge des migrants, qui a mobilisé ses bénévoles et ceux de Help Refugees durant deux jours pour effectuer un recensement, en a compté 3455 dont 440 mineurs.
Saisi par dix associations, mais aussi par 238 migrants, le tribunal administratif de Lille se prononcera mardi après-midi sur un recours demandant la suspension de cette décision.
En attendant, le moins que puissent faire ceux qui sont loin de la jungle de Calais, est de signer et de partager au plus vite les pétitions en cours.
" Le crime d'indifférence est un crime fantastique.
Il a permis le fascisme, le communisme et les massacres d'aujourd'hui. "
Ce ne sont pas seulement des abris qu'on s'apprête à détruire dans la jungle de Calais, mais aussi tous les lieux qui génèrent du lien, créent de la solidarité et maintiennent les réfugiés debout ! Après la destruction des lieux de culte le 1er février dernier, alors que l'État s'était engagé à les préserver, ce sont tous les bâtiments collectifs qui risquent fort de disparaitre entre les dents sans âme des pelleteuses et sous le poids des rouleaux compresseurs. Des constructions que les réfugiés ont été obligés de les construire eux-mêmes sur ce terrain vague sur lequel l'état leur avait ordonné de s'installer en Avril 2015 sans y aménager quoi que ce soit pour qu'ils y vivent. Des lieux de vie bâtis avec ingéniosité, courage et les contributions de nombreux donateurs européens et d'ailleurs.
En face, on ne propose que 400 places pour femmes et enfants à l'espace Jules-Ferry, lieu clos où se trouvent 60 douches, des lieux de soin et de distribution de 2 800 repas par jour, et les 1 500 places du camp blanc de containers... C'est là que la Préfète du Pas-de-Calais Fabienne Buccio envisage de concentrer les 2000 réfugiés tolérés... Les autres ? L'État compte les convaincre de se disperser en France pour demander l'asile, voire les expulser, comme l'avait annoncé le 21 octobre Bernard Cazeneuve : "ceux qui refusent notre main tendue s'exposent à une reconduite à la frontière".
Un camp conçu pour gérer les réfugiés, non pour qu'ils y vivent...Selon Libération " La plupart des exilés de la jungle viennent de zones de conflit et de dictatures - Afghanistan, Syrie, Iran, Irak, Érythrée - et sont en théorie inexpulsables. À la jungle de Grande-Synthe près de Dunkerque, qui compte quelque 2 500 personnes, l'État a annoncé le 9 janvier dernier la création de 300 places de mise à l'abri pour les plus vulnérables. Des policiers à l'entrée du camp empêchent l'entrée de tentes, voire de bois, qui pourrait servir à construire de nouvelles cabanes.
On pourra en sortir et y entrer comme on veut, du camp blanc de containers, de jour comme de nuit. Il y aura des agents de sécurité présents 24 heures sur 24. Il y aura un espace préau, où on pourra recharger son portable, un espace de repos collectif chauffé. Mais pas de douche, parce qu'il n'y a pas d'arrivée d'eau, question de coût. Les containers, de 38 m2, sont prévus pour six personnes. Seules contraintes : on entrera par un système de reconnaissance de la paume de la main, et impossible de se faire à manger, ni même de faire chauffer de l'eau pour boire le thé, " question de sécurité ", explique Stéphane Duval, directeur de l'association La vie active qui œuvre pour l'État. Il faudra se déplacer à " Jules Ferry " pour le petit-déjeuner, et pour l'unique repas de la journée, en plus de celui du matin. Qu'en pensent les exilés ? Les migrants rencontrés ce 8 janvier ignoraient que les containers étaient prévus pour eux aussi. C'est un souci secondaire. "
Ce centre d'accueil est en fait un alignement de containers équipés de lits superposés. Sans point d'eau, sans possibilité donc pour les mamans de préparer un repas ou un biberon pour un petit enfant (par exemple). Elles sont donc contraintes de retourner dans la boue, dans les cuisines du bidonville pour cuisiner. Ces cuisines seront rasées. " Les autorités préfèrent sans doute que les enfants mangent moins plutôt que de consommer un repas préparé dans une cuisine improvisée... ", enrage Séverine Mayer dans un article publié hier sur Mediapart. " Parce que ce n'est pas humain de cuisiner dans de telles conditions. C'est sans doute plus humain de ne pas manger. Ce centre d'accueil provisoire accueille déjà 1200 personnes. Pour 1500 places. 300 places sont donc encore disponibles. Il y a un petit déjeuner, et un repas par jour, pour lequel les personnes font la queue. On infantilise les personnes, on les rend dépendantes avec ces mesures.
Il y a aussi environ 600 places disponibles répartis dans les 102 centres d'accueil et d'orientation. Partout en France. C'est-à-dire : loin de Calais, de la frontière, de la Grande-Bretagne. Ces centres sont supposés aider les migrants à faire leur demande d'asile en France... Oui mais. La plupart ne le souhaitent pas, ils sont " dublinés " : c'est-à-dire qu'un pays a déjà enregistré leurs empreintes (Grèce, Italie, Espagne, parfois la Pologne) et ils y seront renvoyés s'ils font une demande en France. Ils ne veulent pas y retourner. Ils veulent la Grande-Bretagne. Ils n'iront donc pas dans ces centres d'orientation, ils savent très bien que leur demande en France serait rejetée, il serait temps d'arrêter de les prendre pour des ignorants. "
Tentative de prise d'otage sur les associations" A Calais, le jeu des représentants politiques (en poste ou pas), est tout simplement méprisable. Ils sont incapables de gérer, ils continuent d'appliquer des décisions inadaptées, inconscients qu'ils sont des conséquences que tout cela aura sur la population migrante Et la population calaisienne ! " continue Séverine Mayer.
" Cette nouvelle expulsion fait suite à toutes les précédentes, rien de mieux. Aucune anticipation. Cette volonté de salir la réputation des associations, de les décrédibiliser est un signe que désormais, ce sera " marche ou crève ". Aucune négociation, aucune discussion même, sur la manière de faire, d'organiser. Les autorités souhaitent que les associations aident au démantèlement. Sinon, c'est " qu'elles préfèrent la boue " et donc sont irresponsables... Le raccourci le plus réducteur et assassin qui puisse être... [NDLR : discours bien rodé déjà entendu maintes fois pour les roms qu'on expulse à tours de bras sans aucune proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence]
Ce que les bénévoles, les militants ET les exilés réclament : plus de temps, plus d'organisation, d'anticipation, de cohérence. Oui, il faudra démanteler cette Jungle. Mais pas comme ça, pas maintenant, pas en violentant une nouvelle fois des personnes sur notre sol, pas en mentant une nouvelle fois sur les faits, pas en fermant les yeux sur une réalité pourtant évidente : expulser ne sert à rien. Violenter ne sert à rien. Tout cela est seulement une volonté d'éloigner les migrants de Calais, de détruire leurs abris, et de pouvoir montrer des images de " la Lande " vide en affirmant comme Mr Sarkozy en 2009 " le problème est réglé "... C'est un nouveau coup politico-médiatique. Rien de plus. Chacun sait que Mr Sarkozy n'avait rien réglé, et que c'est devenu pire. Ce sera bientôt pire à Calais, on descend d'un cran à chaque fois. Une nouvelle honte. Un nouveau pas en arrière pour notre pays. Des mesures qui ne servent que les intérêts de certains partis politiques dont le populisme et l'intolérance sont le fond de commerce. Calais a besoin de choses positives, constructives. L'Etat répond toujours par la violence. Quand on n'a pas d'argument, d'idée, de solution : on répond toujours par la violence. C'est l'arme des imbéciles ou de ceux qui perdent leur sang froid. Dans tous les cas : c'est un signe de faiblesse... ".Ce 22 février, ce sont quelque 260 organisations et personnalités qui demandent l'annulation de l'arrêté d'expulsion des migrants de la jungle de Calais dans une tribune parue le 22 février dans .
Monsieur le Ministre,
Mme la préfète du Pas-de-Calais a annoncé la décision de raser la moitié puis sans doute la totalité de la " Jungle " de Calais dans les jours à venir. Nous avons conscience de la montée des tensions sur ce sujet dans le Calaisis et des réactions violentes que suscite cette situation. Néanmoins, nous regrettons de devoir vous faire part de notre profonde opposition à ce projet qui ne s'accompagne pas, à ce jour, de véritables solutions alternatives. Il ne fera qu'ajouter des tensions aux tensions, et fragiliser encore un peu plus les quelques milliers d'exilés que la France et la Grande-Bretagne se montrent incapables d'accueillir convenablement. Sans parler de l'effet désastreux que cela ne manquera pas de produire en France comme à l'étranger.
Les exilés ont occupé cette lande, il y a moins d'un an, à la demande voire sous la contrainte des forces de l'ordre. Sous votre impulsion et celle de la maire de Calais, les pouvoirs publics ont contraint en mars 2015 les exilés présents sur différents campements ou squats à venir s'installer sur ce terrain vague, dépourvu de tout équipement à l'époque, avec l'engagement réitéré des représentants de l'Etat de ne pas les déloger de force.
Moins d'un an plus tard, cet engagement est déjà renié.Les conditions de vie - ou de survie - sont particulièrement difficiles dans la jungle, et il n'est pas question pour nous de vouloir pérenniser des conditions d'accueil à bien des égards dégradantes. Mais force est de constater que ce bidonville s'est développé ainsi du fait de l'impuissance des pouvoirs publics à apporter des réponses à la hauteur de la gravité de la situation. Les alternatives que la préfète estime suffisantes pour justifier le démantèlement de la jungle sont loin, très loin, de répondre aux besoins et aux problèmes rencontrés. De ce fait une évacuation brutale provoquerait des reconstitutions de campements notamment à Grande-Synthe.
La préfète évoque les 1500 places du centre d'accueil provisoire (CAP). S'il faut apprécier l'intervention directe de l'Etat dans ce dispositif, nous ne pouvons que constater qu'il est encore largement sous-dimensionné, et que des améliorations en termes de respect de l'intimité des personnes et des conditions de vie sur le site sont fortement requises. Si les autres lieux de vie existant aujourd'hui dans la jungle disparaissaient, il est fort probable que les exilés refuseront, pour beaucoup, d'accepter cet espace contraint du CAP.
Mme Buccio évoque également les CAO, les centres d'accueil et d'orientation. Les places disponibles comme la création de ces " centres de répit " ont constitué une innovation intéressante. Mais leur mise en œuvre se réalise dans une telle improvisation qu'ils ne sont pas en mesure, aujourd'hui, de répondre à leur objectif : absence de comité de pilotage national, coordination locale entre services publics, élus locaux, opérateurs, associations tâtonnante ou inexistante, absence d'articulation entre les acteurs calaisiens et les CAO ouverts sur le territoire, absence d'évaluation sanitaire et sociale et non prise en compte des besoins des exilés avant leur orientation vers les CAO, manque d'information ou désinformation des exilés sur le fonctionnement des CAO créant des situations d'échecs et de retours vers la lande, faible application de la possibilité d'admission vers l'Angleterre, orientation de mineurs isolés étrangers, etc. Alors que le but de ces CAO n'était pas seulement de mettre à l'abri les exilés, mais bien de leur offrir la possibilité de recevoir une information fiable avant de décider de demander l'asile en France, d'accepter une réadmission dans un autre pays de l' UE, ou d'établir qu'ils ont de bonnes raisons de vouloir se rendre en Grande-Bretagne, l'inorganisation actuelle et l'insuffisance des moyens déployés rendent illusoire la réalisation de cet objectif. La bonne idée des CAO est aujourd'hui, par une mise en œuvre défaillante, aujourd'hui incapable de répondre aux questions de tous les exilés qui seraient disposés à réexaminer leur projet.
" Les défaillances de l'Etat sont manifestes. "A cela s'ajoute la question à la racine du phénomène calaisien : les accords anciens qui contraignent la France à remplir le rôle de garde-frontière pour la Grande-Bretagne. Sans une renégociation d'ensemble et transparente des conditions dans lesquelles la France et le Royaume-Uni se répartissent l'accueil des exilés, le phénomène rencontré à Calais depuis des années ne pourra que perdurer. Cette renégociation s'impose d'urgence, et plusieurs parmi nos mouvements se concertent avec leurs partenaires britanniques pour inciter leurs élus à soutenir cette perspective. En attendant, nous constatons avec regret que les services de l'Etat n'ont pas fait le nécessaire pour prendre les mesures de recensement et d'examen des situations qui permettent la saisine des autorités britanniques afin que les exilés y ayant des proches puissent y accéder en utilisant les voies légales existantes. Après la décision du Conseil d'Etat, les quelques référés déposés récemment pour des mineurs isolés à Calais ont montré à quel point les défaillances de l'Etat étaient manifestes, y compris pour les plus vulnérables.
L'annonce du démantèlement de la Jungle dans les jours à venir nous paraît dans ces conditions inacceptable. Sans une évaluation des besoins sanitaires et sociaux des exilés avant leur orientation vers des centres dont la qualité d'accompagnement sera revue à la hausse à travers notamment un dispositif de coordination concertée entre les acteurs, sans une amélioration quantitative et qualitative de l'accueil dans le CAP sur le littoral, sans engagement, mesures et procédures adaptées pour permettre l'admission en Grande-Bretagne de tous ceux qui y ont des proches, le démantèlement de la Jungle ne pourra produire que de nouvelles atteintes graves aux droits des personnes.
En l'état actuel du manque d'alternatives sérieuses, vous aurez compris que nous vous demandons de surseoir à cette évacuation, et que nous serons déterminés, si cela devait se produire, à nous y opposer.
Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l'assurance de nos sentiments distingués,