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Le parquet d’Istanbul a requis l’emprisonnement à perpétuité, le 27 janvier 2016, contre deux journalistes du quotidien Cumhuriyet, emprisonnés depuis deux mois à Istanbul pour leurs écrits. Poursuivis pour "espionnage", "divulgation de secrets d’État" et "terrorisme", Can Dündar, rédacteur en chef, et Erdem Gül, chef du bureau d'Ankara, ont vu les charges qui pèsent contre eux s’alourdir. Ils sont désormais accusés de "tentative de coup d’État".
En divulguant, le 29 mai 2015, les photos de l’interception d’un convoi chargé d’armes appartenant aux services de renseignement turcs à destination de groupes islamistes en Syrie, les deux journalistes de Cumhuriyet se sont attirés les foudres du président de la République de Turquie, Recep Tayyip Erdoğan. Les images de Cumhuriyet montraient des milliers de munitions cachées sous des boîtes de médicaments dans des camions estampillés du logo d'une organisation caritative. Ces images avaient été prises par des témoins le 19 janvier 2014, lorsque des gendarmes turcs avaient arrêté des camions en partance pour la Syrie, parce qu’ils les soupçonnaient de contenir des chargements d’armes. Au beau milieu de la fouille, les gendarmes avaient découvert que des représentants des services de renseignement turcs escortaient le chargement. Ulcéré, le président turc a d'abord promis publiquement aux deux journalistes qu’ils allaient payer "le prix fort" pour ce qu'il juge de "crime" contre l’État, puis porté plainte contre eux.
Quelques heures après les révélations de Cumhuriyet, le gouvernement, affolé, a imposé un blackout médiatique, y compris sur les réseaux sociaux, essayant vainement d'étouffer l'affaire. Le président turc avait crié au coup monté, assurant que les camions transportaient de l’aide humanitaire destinée aux populations turkmènes du nord de la Syrie. Une enquête a été ouverte dans l'espoir de trouver les sources des journalistes de Cumhuriyet. Elle a abouti à l’arrestation d’une cinquantaine de personnes, dont les gendarmes et les procureurs à l’origine de l’interception des camions. Tous encourent des peines de prison à vie. Tous sont accusés d’œuvrer pour une organisation parallèle et de vouloir ternir la présidence de Recep Tayyip Erdoğan.
Face à la polémique suscitée par la "menace présidentielle" et la condamnation des deux journalistes, de nombreux manifestants et cyber-citoyens ont exprimé leur soutien à Can Dündar et Erdem Gül, devenus symboles pour la liberté de la presse en Turquie. La menace et la plainte du président turc souligne son ignorance, sinon son dédain, à l'égard du rôle du journaliste: informer le public en toute circonstance et en toute indépendance. En l'occurrence, la mission du journaliste est de faire sortir l'information que le pouvoir essaie de dissimuler, en raison du droit que le public a de connaître la vérité. Ayant le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique, son devoir est précisément d'informer sur les dangers et menaces qui pèsent sur la population. Cette responsabilité est même devenue collective puisque le mot-clé #candündarerdemgülyalnızdeğildir ("Can Dündar et Erdem Gül ne sont pas seuls") s'est propagé sur Twitter, meilleur allié du journalisme citoyen.
Élue première prison au monde pour les journalistes en 2012 par Reporters sans frontières (RSF), la Turquie a chuté de la 99e place en 2002 (arrivée au pouvoir du parti d'Erdoğan) à la 154e en 2014 dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF.
Cette affaire est un cas de violation manifeste, par les intérêts nationaux de l’État turc, du droit de chercher la vérité et du devoir d'informer, de la liberté de l'information et de la presse, principes fondamentaux des systèmes démocratiques, pourtant inscrits dans la Constitution turque. En d’autres termes, le "crime" de Can Dündar et d'Erdem Gül est d'exercer un métier, celui d'être "journaliste-héros".