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La colère gronde un peu partout dans le monde, et cette fois, les attaques touchent l’économie de partage. Ce phénomène a connu sa réussite grâce à la création de plateforme sur internet et touche à tous les domaines: transports, outillage, restauration ou encore hébergement. Ce dernier cas a provoqué dernièrement une polémique internationale, avec le développement alarmant que connait la société américaine Airbnb. Selon le Wall Street journal, le chiffre d’affaire de la plateforme californienne est estimé à 185 ME en 2013. Né en 2008, Airbnb est devenu le premier hôtelier mondial en proposant près d’1,5 million de chambres dans le monde. Sympathique pour ces milliers de touristes qui trouvent leur bonheur à des prix bien plus avantageux, mais en revanche, contraignant pour la profession, avec des millions d’hôtels forcés de respecter des normes de taxation draconienne. Quant aux pouvoirs publics, ils ont longtemps navigué entre la tentation de l’interdiction demandée par les professionnels et le souci de ne pas fermer la porte à un nouveau mode de consommation interpersonnel apprécié par la population. Ils souhaitent également prendre leur part de ce juteux gâteau. Depuis ces dernières semaines, cette petite révolution contre le site d’appartements Airbnb semble avoir marqué l’histoire de l’économie de partage.
Sept ans après sa création, et avec un succès fulgurent, la plate-forme de location temporaire a été contestée jusque dans sa ville natale en Californie. En 2014, un referendum a même été organisé dans la ville toute proche de Silicon Valley. Le scrutin prend la forme d’un referendum populaire soutenu par une coalition de militants de gauche, de syndicats, d’hôteliers et d’associations de quartiers. Ils accusent notamment Airbnb d’inciter de fait à la conversion d’immeubles entiers en hôtels pour touristes, plus rentables que les locations à long terme, tandis que San Francisco doit faire face à des niveaux de loyers énormes pouvant atteindre les 4000$ pour un deux pièces. Ce referendum vise à renforcer la réglementation des locations temporaires et propose de limiter à 75 jours par an la durée maximale des locations touristiques via le célèbre site et à faciliter les plaintes pour trouble de voisinage. Devenu plus valorisé que la chaine hôtelière du Marriott Airbnb a réuni près de 8 millions de dollars pour combattre la proposition, mais ses opposants promettent d’y revenir en 2016.
Au Canada, à Montréal, ce sont les mêmes exaspérations. Locataires, propriétaires, et même les voisins des logements loués comme chambre d’hôtel tirent la sonnette d’alarme et ne cachent plus leur mécontentement. Ils dénoncent notamment des mesures illégales puisqu’avec un bail de location "ordinaire", un locataire n’est pas en droit de mettre son logement à la location sur Airbnb pour arrondir ses fins de mois. De plus, les plaintes se succèdent quant au bruit de ces touristes indésirables et le manque de sécurité que peut engendrer ce va et vient. L’an dernier, ce n’est pas moins de 50.000 logements qui ont été sous-loués à des touristes au Québec, ce qui représente plus de 4% de l’ensemble des logements.
Ce tsunami de l’économie de collaboration de l’hébergement remet en cause les modèles économiques les plus solides. Ainsi, tandis qu’Airbnb ne possède aucun des appartements qu’il loue et n’emploie que 3000 personnes pour gérer ses plates-formes, un hôtel traditionnel en fait travailler 180.000! L’été 2015 la société californienne a logé 17 millions de personnes dans le monde et a été fortement critiquée pour faire baisser les rentrées fiscales liées aux taxes sur le tourisme.
Face à la colère internationale qui grogne sur Airbnb, la plate-forme développe des stratégies d’approche avec certaines municipalités pour calmer les esprits comme c’est le cas dans la capitale française. L'entreprise de San Francisco était particulièrement critiquée en France, et surtout à Paris pour la concurrence jugée "déloyale" qu'elle imposait aux hôtels. Devant la menace grandissante, le site a fait part en février dernier, de sa volonté d'être dans une logique de coopération avec les autorités de la capitale, et donc de participer lui-même à la collecte de cette taxe. Une décision d’une haute importance, lorsque l’on sait que la plate-forme californienne a contribué à l'accueil de 600.000 touristes en France l'an dernier lesquels ont donc, à l'époque, échappé à la taxe de séjour, et qui représente incontestablement un enjeu fiscal réel. C’est donc depuis ce jeudi 1er octobre que la Airbnb a commencé à collecter la taxe de séjour pour le compte des personnes mettant à disposition leur logement. En 2015, les hébergements dits non traditionnels tels que Airbnb et ses concurrents (Bedycasa, Sejourning…) seront taxés au même tarif que les hôtels non classés: à hauteur de 0,75€ par jour. Bien que les hôteliers, qui n’avaient cessé de dénoncer une concurrence déloyale, soit tout de même satisfait de cette décision, ils ne crient pas encore victoire. Ils souhaitent que les pouvoirs publics aillent plus loin encore pour rétablir les conditions d'une concurrence équitable.
Certes, la collecte de la taxe de séjour est déjà un grand pas vers la normalisation du modèle économique d’Aibnb, et qui va permettre au site californien de s’installer durablement, avec la bénédiction des autorités, dans le paysage de l’hôtellerie parisienne. Mais rappelons cependant que l'activité de la plate-forme immobilière génère, de la part des propriétaires mettant à disposition leur logement, des comportements à la limite de la légalité. En effet, la loi précise que toute résidence secondaire proposée de la sorte à la location nécessite une autorisation (dans les villes de plus de 200.000 habitants) et devrait changer de statut pour devenir un "meublé touristique", avec l'obtention d'un bail commercial.
Une question se pose alors: quelle ligne fragile sépare l’activité amateur de l’occupation professionnelle? Lorsque certains louent des immeubles entiers avec Airbnb, peut-on encore parler d’économie collaborative? L’esprit de partage et le sentiment collectif, moteurs de l’économie collaborative semble avoir été remplacés en concentration d’énormes quantités de capitaux par des entreprises tentaculaires, en un temps record, par un simple outil informatique, sans redistribution équitable et sur la bonne volonté du citoyen. N’est-ce pas l’esprit même du capitalisme moderne dont tout le monde s’offusque habituellement?