Le prix du pétrole continue de tomber. Eh oui, encore : il y a deux mois, je constatais un baril à moins de 40$, et il parvient maintenant à tourner autour de 30$. Et comme il y a deux mois, de vibrants analystes se demandent si cette baisse ne serait pas, en réalité, une très mauvaise nouvelle, ce qui donne lieu à quelques navrants exercices journalistiques.
En effet, pas une fois depuis ces prédictions un tanker n’est parti vide de n’avoir pu se remplir, et pas une fois la demande n’a réussi à se hisser durablement au-dessus de l’offre sans pouvoir s’étancher. Entre temps, les prix sont montés (à plus de 100$ le baril), mais ils sont aussi redescendus… À tel point, donc, qu’on assiste à de curieux phénomènes.
Du côté des puits, tout d’abord, ces prix bas n’ont en réalité rien de prévu ou de planifié. Si on pouvait admettre, il y a un an, que l’Arabie Saoudite avait sciemment orchestré la baisse en maintenant une production vigoureuse, on est légitimement en droit de se demander si la tactique employée ne se retourne pas contre elle. Ainsi, on pouvait imaginer assez facilement que le principal producteur du Golfe pouvait largement se permettre de vendre son or noir à perte pendant quelques temps afin de se débarrasser des nouveaux concurrents que représentent les producteurs d’huiles de schiste. Placer le prix du brut en dessous des seuils de rentabilité des exploitations d’huile et de gaz de schiste assurait assez simplement que toutes celles qui n’étaient pas solidement financées seraient rapidement en faillite.
La tactique a relativement bien fonctionné puisque, « comme prévu », on assiste effectivement à une série de faillites dans les compagnies pétrolières américaines du secteur. Malheureusement, ce n’est clairement pas suffisant.
D’une part, la production de pétrole américain continue d’aller bon train, et en tout cas suffisamment pour gêner les producteurs du Golfe. Ainsi, la facture des largesses sociales qu’ils accordaient à leurs peuples grâce à la manne pétrolière continue d’enfler dangereusement et oblige l’Arabie et ses petits copains à choisir entre diminuer sa production, puiser dans ses réserves de cash ou réduire les prestations sociales en question, avec un risque d’instabilité à la clef. Chaque mois qui passe rend le calcul plus complexe.
D’autre part, l’Arabie Saoudite n’est pas seule dans le jeu. Diminuer sa production revient à laisser une plus grande part de marché à d’autres producteurs, et notamment l’Iran ou l’Irak. Ni l’un, ni l’autre, ne sont actuellement au pic de leurs capacités de productions. Et les relations diplomatiques entre ces pays et l’Arabie Saoudite sont tout sauf sereines. Pour rire, je pourrais évoquer le cas du Venezuela, pays aux réserves pétrolières gigantesques qui, finement dirigé par un énième communiste, se dirige droit vers un effondrement économique total au point d’importer du pétrole, américain de surcroît, et de multiplier les prix de son essence par … 60.
Enfin, et c’est sans doute une information détonante du côté des producteurs, il apparaît que les seuils de rentabilité des exploitations de gaz et d’huile de schistes sont bien plus bas que ce sur quoi se basait l’Arabie Saoudite pour son pari risqué. En effet, alors que les prix du baril sont au plus bas, la production américaine ne baisse pas, et ce alors même que les faillites d’exploitants se multiplient ; les calculs de seuil de rentabilité, menés par les analystes William Foiles et Andrew Cosgrove pour Bloomberg Intelligence, expliquent assez bien ce qu’on observe : par exemple, les exploitations dans le bassin Permien et à Eagle Ford (dans le Texas et au Nouveau-Mexique) font du profit même lorsque le baril est en dessous de 40$. Apparemment, on trouve des seuils de rentabilité aussi bas que 29.19$ par baril au Texas…
Et le plus beau, d’après Bloomberg, c’est que s’il existe bien des puits de schistes rentables même en dessous de 20$ le baril (!), les modèles montrent aussi qu’une fois absorbées les dépenses de forage (qui représentent 30% du coût total d’un puit), le seuil de rentabilité peut s’effondrer de 28% à 42% (soit à 21.51$ jusqu’à 7.24$). Oui, vous avez bien lu : toute analyse faite, certains puits restent rentables avec des prix du baril autour de 8$…
L’Arabie a soudainement beaucoup de souci à se faire si elle tient vraiment à conserver sa part de marché…
Du côté des pompes, les prix ont baissé. Peu, assommés qu’ils sont des taxes étatiques diverses, mais de façon suffisamment sensible pour que l’automobiliste s’en rende nettement compte.
Or, si cela satisfait certainement l’État qui y voit une réduction de sa facture énergétique (et des importations d’un coup moins coûteuses), voilà qui enquiquine prodigieusement … nos amis écolos. Pour eux, une humanité qui dispose enfin d’une énergie pratique à bas prix, ce n’est pas exactement une bonne nouvelle. Pire, cela l’inciterait, dans leurs cauchemars, à gaspiller cette précieuse ressource. Un pétrole peu cher, ce sont des pays qui se développent et dont les populations croissent, ce qui doit immanquablement se terminer par une surpopulation, des famines et une pollution dantesque.
Étonnamment, ce n’est pas ce qu’on constate.
Au contraire, puisqu’actuellement, le pétrole bon marché est plutôt stocké autant que possible. Quant au fait de produire engrais et nourriture moins chers, les écolos sont bien obligés de mettre leurs couinements en sourdine sauf à passer pour des affameurs.
Enfin, un autre phénomène joue aussi de façon sensible : alors que le parc automobile des pays occidentaux se modernise (la consommation moyenne d’un moteur automobile est passé, en 20 ans, de 20L/100 à 5L/100, multipliant de fait par 4 le nombre de kilomètres disponibles pour les réserves actuellement exploitées), les pays en voie de développement s’équipent eux aussi. Or, si l’Europe ou les États-Unis sont bel et bien passés par l’étape des gros moteurs gourmands, les nouveaux arrivants (Inde et Chine notamment) bénéficient directement des derniers moteurs économes. Autrement dit, l’arrivée sur le marché de ces nouveaux consommateurs ne se traduit pas par une augmentation équivalente de la demande qui, en définitive, est moins forte.
À ces éléments déjà fort réjouissants (quoi qu’en disent les journalistes économiques apeurés à l’idée d’un monde au pétrole bon marché), il faut ajouter qu’en termes de ressources, on n’en manquera pas : des gisements inexploités mais joufflus sont régulièrement découverts. On pourrait évoquer rapidement ceux de Tamar 2, dans les eaux territoriales israéliennes, qui représentent des quantités énormes de gaz et qui pourraient modifier quelque peu les échanges commerciaux locaux (Israël important actuellement son gaz d’Égypte). Mais dernièrement, c’est en Angleterre qu’un nouveau gisement pétrolier a été découvert, pas très loin de Gatwick, et dont les réserves seraient supérieures à celles trouvées en Mer du Nord…
Enfin, mentionnons au moins pour rappel qu’à côté des énergies alternatives viables que sont l’hydroélectrique et surtout le nucléaire (traditionnel ou à base de thorium), on peut aussi techniquement envisager la production d’hydrocarbures à partir de CO2 et de lumière ; dans ce cadre, le pétrole et le gaz, à terme, pourraient être des ressources renouvelables.
La conclusion est sans appel.
Les prix sont bas et non, rien n’indique que le « peak oil », ou sommet de production, soit atteint : tous les pays ne produisent pas à plein régime, loin s’en faut. Entre les nouvelles réserves évoquées plus haut, les réserves prouvées et celles déjà exploitées, les alternatives qui se développent malgré tout, on sent tout de suite que les prochaines années ne pourront pas être frappée de pénurie.
S’il y en a une, elle ne pourra pas être par manque de ressource et ne sera que purement (géo)politique.