Roman - 190 pages
Editions Gallimard - janvier 2016
On l'imagine, cette Claire, interrogée lors des séances pour l'enquête par son psy, on l'imagine raconter son incroyable histoire des temps modernes. La quarantaine, mariée, elle avait un jeune amant, Jo, loin d'être stable, plutôt du genre très volage. Pour le surveiller efficacement, elle se crée un faux profil Facebook, celui d'une jeune belle brune de 24 ans, illustrée par une jolie photo de sa nièce. Il faudra compter sur elle parmi les amis de Chris, lui-même ami de Jo. Et le dispositif de surveillance peut se mettre en place. Indirectement, elle en apprend sur Jo, mais au fil du temps et des échanges obligatoires et stratèges avec Chris, c'est de ce dernier qu'elle va tomber amoureuse, trop flattée d'être aimée par un garçon si délicat, si patient, si amoureux. Mais comment sortir du carcan virtuel ? Elle ne peut se résoudre à révéler son véritable âge, à rencontrer Chris pour de vrai....Une première partie de roman lue à tambour battant, dans un verbe vif, malicieux, poétique. Et même ensuite, le rythme ne faiblit jamais, la qualité littéraire se confirme, le talent de Camille Laurens pour la narration, le scenario tortueux est encore démontré. Elle est maline, elle joue avec ses personnages, les met face à des drames inévitables, à des quiproquos contemporains insensés.
Véritable texte féministe également, on y lit des dénonciations sourdes de ces inégalités communes.
Extrait :"Pourquoi les femmes devraient-elles s'arracher l'écharde du désir alors que les hommes refont leur vie, refont des enfants, refont le monde jusqu'à leur mort ?"
Des questions qui touchent à des tabous sociaux.
Extrait :
"Est-ce que c'était d'être avec une femme qui ne pouvait plus avoir d'enfant qui lui faisait horreur, soudain ? Une espèce de confusion que feraient les hommes entre l'infertilité et l'impuissance ? La haine de la stérilité ? La peur inconsciente de coucher avec leur mère ? Une peur que les femmes jeunes, elles, n'auraient pas de coucher avec leur père ? Elles le rechercheraient, même ? Et eux aussi? Pas peur de coucher avec leur fille ? Mais pourquoi ? Pourquoi cette dissymétrie tellement acceptée et validée partout ?"
Au jeu des identités entre Claire Millecam et Claire Antunes, du récit revu d'une autre point de vue, vient s'ajouter le jeu de la narration, des mots pour se réinventer une vie.
Extrait :
"Nous inventons tous notre vie. La différence, c'est que moi, cette vie que j'invente, je la vis. Et que, comme toute créature, elle échappe à son créateur. Tu vas dire, si tu es mal luné, que je ne la vis que pour pouvoir l'écrire, que la vie n'est qu'un prétexte à l'écriture. Mais c'est tout le contraire. La vie m'échappe, elle me détruit, écrire n'est qu'une manière d'y survivre - la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j'écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c'est se bâtir un asile."
Une façon de surprendre ou perdre le lecteur, mais le tout est fait avec une pure délectation contagieuse.Un roman admirable. Génial et jubilatoire.
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