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Les familles déchirées de Taiye Selasi

Par Pmalgachie @pmalgachie
familles déchirées Taiye Selasi Taiye Selasi puise en partie dans sa propre histoire la matière de son premier roman, Le ravissement des innocents. Elle est née à Londres dans une famille aux origines ghanéennes et nigérianes, elle a passé sa jeunesse aux Etats-Unis, à Brookline dans le Massachusetts, ses parents avaient divorcé et elle n’a rencontré son véritable père qu’à l’adolescence. Elle a une sœur jumelle. Tout cela est transposé dans une fiction impressionnante de maîtrise et de profondeur. Un diagnostic est posé par Sadie, la plus jeune enfant de la famille Sai, environ à la moitié du récit : « Les Sai sont cinq personnes dispersées, sans centre de gravité, sans liens. Sous eux, il n’existe rien d’aussi lourd que l’argent, qui les riverait à la même parcelle de terre, un axe vertical ; ils n’ont ni racines, ni grands-parents vivants, ni passé, une ligne horizontale – ils ont flotté, se sont séparés, égarés, une dérive apparente ou intérieure, à peine conscients de la sécession de l’un d’entre eux. » Les autres enfants ont, sur base de cette absence de fondations solides, tracé comme ils ont pu leur chemin aux Etats-Unis. Olu, l’aîné, est devenu médecin comme son père, s’est marié en secret avec Ling, originaire d’Asie, et cherche à se situer sur une échelle des valeurs qui reste marquée par l’archaïsme correspondant, dans l’imaginaire collectif, à ses racines africaines – c’est Ling qui le lui fera comprendre. Taiwo et Kehinde sont les jumeaux, fille et garçon, marqués à l’adolescence par une épreuve douloureuse qui a laissé des traces profondes, des cicatrices ouvertes, et dont on connaîtra le détail seulement quand ils finiront par la raconter à leur mère. Celle-ci, Folá, flotte sur un monde dont elle n’a pas compris à quel point il était destructeur. Ni comment il avait fini par séparer les uns et les autres. Ils ne se retrouvent, au Ghana, qu’à la mort du père, Kweku, le médecin mort dans son jardin, avec l’ironie dont la vie est friande, d’une crise cardiaque à laquelle il aurait pu survivre si les choses s’étaient passées autrement, comme il en a conscience dans les derniers moments. Tout le roman se déroule dans le temps bref entre la mort et l’incinération de Kweku. Le temps nécessaire à rassembler les cinq personnes dispersées. Mais, si le récit est enserré entre des bornes précises, il ne cesse d’en déborder pour chercher dans le passé ce qui a conduit à la situation actuelle, pour chacun des personnages.
Dans l’incessant va-et-vient entre les époques, la romancière nous balade sans nous perdre. Non seulement elle situe les événements dans le temps, mais aussi elle les fixe par quelques détails qui leur donnent une valeur concrète. Les artifices disparaissent derrière la perception qu’elle transmet de ces vies aussi ravagées qu’un cœur après l’infarctus, si on n’a pas pu intervenir avant qu’il soit trop tard. Mais, puisque les cinq personnages sont vivants, il est encore possible, pour eux, d’effectuer quelques réparations de fortune, grâce à la parole, et de restaurer l’affection. Peut-être même la famille.

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