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Comptez vos jours..., d'Alice Rivaz

Publié le 23 février 2016 par Francisrichard @francisrichard
Comptez vos jours..., d'Alice Rivaz

Cinquante ans se sont écoulés depuis la première publication de Comptez vos jours.... C'est une façon comme une autre de compter les jours que de faire ce décompte-là, mais ce n'est certainement pas cela qu'Alice Rivaz enjoint le lecteur d'opérer à sa suite.

Quand elle écrit ces onze récits, elle a soixante ans et, dit-elle, largement dépassé le milieu de son âge. Elle ne sait pas qu'elle vivra encore quelque trente-six ans... Cette femme libre n'a ni fils ni fille, et point de mari non plus. Et n'en a pas souffert, écrit-elle.

Le père d'Alice est mort avant sa mère, qui a alors trouvé refuge chez elle. Un jour, tout soudain, il avait substitué des mots neufs aux mots anciens. Il avait déserté les églises huguenotes qu'il fréquentait pour embrasser une nouvelle religion. Il avait quitté l'école où il enseignait pour monter sur des estrades publiques.

Du haut de ces estrades, Paul Golay avait prononcé "des mots vengeurs contre les riches et le gouvernement de son pays": "Parfois sur les murs des petites villes de mon pays, le nom de mon père apparaissait sur de grandes affiches rouges qui parlaient de révolte et de justice."

Alice ne s'est pas mariée, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a point connu d'hommes, elle en a toujours eu dans sa vie: "Aucun ne fut l'époux. Aucun même ne fut jamais à moi seule. Ils étaient toujours à d'autres femmes avant d'être à moi. A la leur, ou encore à d'autres."

Alice est une femme "séparée". Elle s'est toujours sentie ainsi: séparée des jeux des autres, parce qu'enfant unique elle est en mauvaise santé; séparée de la société établie, parce que son père professe des idées bien menaçantes; séparée aussi parce qu'elle n'a ni mari, ni enfants.

De plus, Alice appartient à un petit pays, la Suisse, en marge de l'Histoire; elle a gagné sa vie au milieu d'étrangers et non pas parmi ses compatriotes; elle a vécu à l'abri, bien nourrie et correctement vêtue, dans un monde où des millions d'êtres humains sont sans toit et ont faim:

"Et me voici , de plus, séparée des jeunes parce que, jeune, je ne le suis plus, et séparée de moi-même parce qu'arrachée à celle que j'étais, tout en n'étant pas encore celle que je deviendrai quand j'en aurai fini de faire peau neuve - mais il faudrait dire ici "peau vieille"."

Au moment où elle écrit, elle s'est justement libérée de ses problèmes personnels, dont elle donne un aperçu dans ce livre mince. Elle peut désormais se mettre à regarder la vie des autres et la beauté de l'univers, "à partir à la découverte des chemins obscurs qui s'en vont vers des vérités inconnues ou peut-être oubliées":

"N'est-il pas temps, dès lors, de rompre le silence, de faire appel aux mots? Y pourrai-je parvenir sans briser leur coque, les violenter comme une huître? Sous l'armature usée des consonnes gît une saveur qui, pour moi, s'est depuis longtemps durcie, pétrifiée, autant par ma faute que par celle des circonstances."

Quand elle écrit ce livre, Alice se trouve à un tournant de sa vie, celui où elle sait comment faire revenir les mots bien vivants sous sa plume: "Où, sinon dans l'eau claire du coeur libéré, immerger les mots muets; afin qu'ils ressuscitent, apprennent à vivre les uns à côté des autres, à respirer ensemble sur la page?"

Et, dès lors, Alice Rivaz donne toute sa mesure de musicienne des mots, laisse libre cours à sa veine d'écrivain, dont ce livre, par ces quelques extraits choisis arbitrairement, et affectueusement, en est l'insigne illustration et, dans le même temps, le signe précurseur et prometteur.

Francis Richard

Comptez vos jours..., Alice Rivaz, 100 pages, L'Aire bleue


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