Matthias Debureaux, De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages, 2013.
On a tous fait ça : le retour de voyage, le récit, les photos, les anecdotes répétées jusqu'à en assommer son auditoire. Lui, il en a fait un livre. Le retour du grand voyageur, il en a fait un pamphlet sur les routards qui reviennent à la vie "normale" auréolés de leur sentiment de supériorité. Car le road tripper a ça de mieux que les autres : il est parti de chez lui, il a été jeter un coup d'oeil plus ou moins long à l'ailleurs, il a conversé avec l'Autre, l'étranger, il est donc infiniment plus riche que vous qui êtes restés à paresser sur votre canapé. Le voyage l'a changé, il ne cesse de le clamer sur tous les toits de Paris à son retour. Retour qui lui est aussi douloureux que de marcher sur la terre ferme pour la Petite Sirène. Il se plaint de ne pouvoir se réadapter à la routine, aux horaires, à la tristesse des visages dans le métro. En gros, il méprise l'Ici et idéalise le Là-bas. Pour rester dans l'ambiance, il raconte à tort et à travers ses allées et venues à travers le vaste monde et à qui veut bien l'entendre des détails qui n'ont aucun intérêt pratique pour son auditoire. C'est ce que décrit et tourne en ridicule notre auteur : cette faculté qu'ont les voyageurs à lasser leur famille et leurs amis avec leurs interminables soirées diapos et autres cadeaux inutiles rapportés de leurs divers périples. On rit du début à la fin, déjà parce que c'est court, mais surtout parce que quiconque à un peu mis les pieds dans un avion ou un train au long cours sait de quoi il parle et se reconnaît là-dedans : ce côté donneur de leçon, l'érudition du superficiel et du décalé, les lamentations de la reprise du travail, c'est tout ce que tout blogueur écrit sur son site lorsqu'il évoque ses voyages. Je me souviens du long et véhément commentaire d'une jeune routarde qui visait à corriger l'un des articles que j'avais écrits sur la Bolivie. C'était il y a longtemps. Aujourd'hui, avec la distance, je ne lui répondrais pas de la même manière. Je serais sans doute plus ironique envers ce genre de comportement pathétique que nous avons, nous les voyageurs, lorsque nous sommes persuadés de détenir LA vérité sur une contrée. Je ne manque pas de m'inclure dans le lot : la nostalgie m'a parfois fait écrire des couplets mélancoliques dans lesquels je louais les beautés des paysages que j'avais croisés et réduisais par la même occasion mon lieu de vie à un placard sans âme. Ce petit livre fait rire, mais fait aussi réfléchir. A la première lecture, on se gausse, on pointe les autres du doigt ; dans un deuxième temps, on voit le miroir approcher et on la met en veilleuse parce que c'est nous, cet inadapté du partage, ce surtout pas touriste imbu de ses milliers de kilomètres au compteur de son sac à dos. A l'aube de toute une série de récit que je vais vous faire sur ma semaine de rêve à Marseille, je fais profil bas... !