Passons maintenant aux symptômes négatifs.
–Les difficulté de concentration: j’ai eu la chance de pouvoir toujours lire. Il faut savoir qu’avant même de savoir lire je savais que je ne m’ennuierais plus jamais une fois que j’aurais appris et que les livres m’accompagnent quotidiennement depuis mon enfance. Ils m’ont réellement tenu en vie à une époque. Par contre, étudier étaient une autre paire de manche. Mon attention pouvait rapidement être déviée, soit par une voix dans ma tête qui me poursuivait, soit par des conversations que je tenais seule comme si j’avais une personne en face de moi, soit par des crises de larmes ou des tas d’autres choses. Après avoir raté ma première année, j’ai pu quand même réussir mes études, passant parfois douze heures à assimiler ce que je pouvais habituellement étudier en une heure et demie.
–La perte d’énergie: il m’arrivait de me lever et d’avoir épuisé toute mon énergie après m’être lavée, ou de mettre deux heures pour monter un escalier, m’arrêtant pour pleurer à chaque marche. Parfois, j’étais clouée au lit par la douleur. J’essayais pourtant de lutter et souvent j’arrivais à aller m’asseoir sur les bancs de la fac, mais je ne parvenais pas toujours à écouter le cours.
–Le retrait social: sans doute le symptôme négatif qui fut le plus problématique, si on excepte mes épisodes de dépression mélancolique (mais peut-on considérer ceux-ci comme un symptôme négatif ou plutôt comme une comorbidité, enfin c’est un autre débat). Je pouvais être tellement enfermée dans mes pensées et mon monde que je restais au milieu des autres sans rien dire, sans être là, totalement coupée des autres, parfois en larmes. J’étais hors d’atteinte, et pourtant toujours en vie, toujours pensante, toujours souffrante et même toujours désireuse qu’on vienne vers moi.
–La froideur affective: on m’en a souvent accusée et ça m’a toujours blessée. Sans doute parce que si j’étais froide, peu souriante, j’étais pourtant là, à étudier au milieu des autres, à travailler alors que j’aurais voulu hurler et me terrer dans un coin. Je faisais tous les efforts du monde pour montrer un visage impassible et pas ravagé, et on me le reprochait encore.
–Le désintérêt: je trouve bizarre qu’on le mentionne parmi les symptômes négatifs. Qui ne se désintéresserait pas des considérations quotidiennes quand il se demande s’il n’est pas en train de perdre la raison, quand il ne peut plus se fier ni au monde ni à lui-même ni aux autres? J’avais du mal à m’intéresser aux conflits qui tracassaient mes amies, mais à ma décharge, je pensais que j’allais finir ma vie à l’hôpital psychiatrique et ça me préoccupait beaucoup.
–L’ambivalence: il m’arrivait souvent de vouloir deux choses à la fois. Un exemple: quand je suis arrivée en Erasmus en Espagne, j’étais avec trois filles que je ne connaissais que très peu. Devais-je leur dire que j’allais mal et que je cherchais à voir un psychiatre? Je passais mon temps à me dire que oui, puis que non, et ça m’obsédait, je voulais les deux d’égale façon et je me tourmentais pendant des heures face à cette ambivalence. En même temps, il est difficile de savoir quoi faire quand on n’a pas beaucoup de confiance en son propre jugement.
Voici donc quelques-un de mes symptômes. En réalité, les symptômes négatifs me semblent être la conséquence logique des symptômes positifs et non des symptômes en eux-même, y compris la dépression, car il est difficile de garder le moral quand on vit de telles choses. J’espère avoir montré que tout cela n’est pas complètement fou, qu’il y a une logique derrière chaque symptôme, si infime soit-elle parfois, que les psychotiques ne sont pas juste « complètement malades ». Il faut garder à l’esprit que, excepté pendant un an, j’ai continué à avoir une vie normale pendant que je vivais tout ça, ces symptômes que j’ai vécu parfois tous à la fois, parfois séparément, que j’étais peut-être bizarre mais en aucun cas « complètement folle et enfermée dans une institution ». La dame au bavarois ne passera sans doute pas par ici pour lire ça, mais j’espère que sa réflexion servira à faire comprendre les choses à d’autres personnes.
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