Street-art, 2015
Année de la consécration
Les municipalités parisiennes accordent de plus en plus de place au street-art. Une reconnaissance publique qui a été catalysée en 2015 par les attentats de Paris, un certain modèle français s’étant alors affirmé avec force sur tous les murs de la capitale. Un mur leur sera désormais réservé dans chaque arrondissement : mais en les encadrant dans des espaces consacrés, ne risque-t-on pas de dénaturer les œuvres urbaines ?
Julien Seth Malland, Fluctuat Nec Mergitur, 2015, Ménilmontant (Paris, 20e arrondissement)
L’ANNÉE DES FESTIVALS…
La programmation street-art de l’année 2015 promettait d’être exceptionnelle. Avec le lancement de son festival la ville d’Evry confirmait son rôle moteur dans ce domaine de création. Speedy Graphito y réalisait la plus grande fresque murale d’Europe (3000 m2 de la façade des Arènes de l’Agora), tandis que le festival La Fabrique à Rêve de Saint-Denis – un autre bastion de la culture urbaine – invitait une trentaine d’artistes internationaux à s’approprier les berges du canal.
La ville de Paris n’était pas en reste. En lançant son projet « Reconquête urbaine » (Paris budget participatif), la capitale entendait se réapproprier des espaces abandonnés, en marge du périphérique et dans des zones défavorisées.
Un des éléments de cet ambitieux programme dédiait 400 mètres de murs à l’art urbain autour de la nouvelle station de RER Rosa Parks : la plus grande fresque de graffs de son histoire. Invités à s’exprimer sur les thématiques de l’immigration et d’intégration sociale, les artistes conviés commençaient leur travail lorsque sont survenus les attentats du 13 novembre.
Les oiseaux de Bastardilla peints rue d’Aubervilliers (station Rosa Parks)
sont des allégories de la migration / Photo Judith Orber pour Metronews
L’ANNÉE DES ATTENTATS
Les attentats de Paris ont trouvé un très large écho auprès des graffeurs, puisqu’ils les ont ébranlés dans tous leurs principes fondateurs. Ces défenseurs immodérés de la liberté d’expression ne pouvaient pas rester silencieux. Mais surtout, la menace structurelle que le terrorisme faisait courir au sein de notre société nécessitait une prompte réponse, qui s’est diffusée avec une éloquence rare.
Fluctuat nec mergitur du collectif Grim Team, place de la République
On ne compte plus le nombre de messages viraux qui ont couvert les murs du monde entier (« Je suis Charlie », « Fluctuat Nec Mergitur », « (S)Pray for Paris », « Peace for Paris », etc.) et la richesse des détournements du drapeau tricolore, repris et partagés sur Internet et dans les médias. Ce discours citoyen à rencontré un enthousiasme inespéré auprès d’un public nouveau, habituellement peu sensibles aux graffiti. Il a découvert à cette occasion la force que peut revêtir un message quand il est peint en très grande dimension.
UN MUR PAR ARRONDISSEMENT
Dans le prolongement de son projet « Les œuvres d’art investissent la rue », la mairie de Paris entend offrir des espaces d’expression aux street-artistes. Elle a décidé la création de La Place, un centre d’art spécialisé qui occupera 1400 m2 dans la Canopée des Halles à partir du mois d’avril.
En partenariat avec cette association, la ville de Paris a par ailleurs décidé de consacrer un mur par arrondissement au street-art. Dix projets ont d’ores-et-déjà été sélectionnés : les artistes tirés au sort proposeront librement trois esquisses aux habitants du quartier qui voteront pour la fresque définitive. Le but de cette initiative est de poursuivre la sensibilisation du grand public – dans tous les quartiers cette fois – en lui dévoilant les meilleures œuvres de la scène contemporaine.
Noe Two est le 1er artiste sélectionné : son singe sera visible rue Saint-Denis (75001) à partir d’avril
UNE ÉPINEUSE QUESTION DE LÉGITIMITÉ
Si cette initiative est tout à fait louable, il serait préjudiciable de prétendre encadrer plus strictement les lieux d’expression du street-art. Le choix des lieux d’implantation de leurs œuvres n’est pas anodin pour les artistes. Les plus connus d’entre eux ont même une pratique itinérante, qui vise à rapprocher sans cesse leur œuvres de leur public cible (Banksy peint sa peint sa petite Marianne en face de l’ambassade de France à Londres, Ernest Pignon Ernest affiche son Pasolini à Naples, JR colle ses portraits israélo-palestiniens sur le mur de Jérusalem, etc.)
JR, projet Face2Face, Abu Dis, Jerusalem, 2007 / Courtesy de l’artiste
Cette reconnaissance par les institutions culturelles ne doit, par ailleurs, pas faire perdre de vue que la nature originelle du street-art est illégale. Sa pratique se heurte encore en France à la toute puissance de la propriété foncière et – hors de ce cadre restreint de légitimation – elle reste passible de lourdes amendes (jusqu’à 30.000 €) et de peines d’emprisonnement (jusqu’à deux ans) en vertu de l’article 322-1 du Code Pénal.
Banksy, installation devant l’ambassade de France à Londres dénonçant la gestion des migrants de Calais (Marianne sous les gaz lacrymogènes)
Il est indéniable que la force du street-art réside dans ce caractère disruptif : ses amateurs apprécient la liberté d’action de leurs auteurs et la franchise de leur discours. Sous le couvert de pseudonymes, même les plus grandes stars peuvent s’offrir le luxe d’une contestation sans langue de bois. La reconnaissance officielle des qualités artistiques du graffiti est donc une politique hautement paradoxale. Peut-on institutionnaliser un mouvement artistique qui se caractérise par son insoumission ?
Mais si cette question taraude les florissantes galeries spécialisées, les musées et les centres d’art, nombreux sont les street-artistes qui s’en désintéressent. Car leur démarche artistique s’adresse directement au public, sans intermédiaire et sans filtre. Et les événements de l’année 2015 leur ont donné l’occasion de rencontrer une adhésion sans précédent.
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