Classe(s): Aurier, le football, les quartiers populaires…

Publié le 19 février 2016 par Jean-Emmanuel Ducoin
Le joueur du PSG n’a pas insulté que son coach. Il a aussi insulté ceux qu’il aime sincèrement, à Sevran ou ailleurs. Parce que ce sont eux, et toujours eux, qui seront encore visés.

Serge Aurier et Laurent Blanc.

Mécanique. Pas ça, Serge Aurier, pas comme ça, jamais, jamais plus… L’aveu du bloc-noteur vous étonnera peut-être, mais sachez-le. En regardant la (trop) fameuse vidéo dans laquelle l’arrière latéral du Paris Saint-Germain répond à des questions d’internautes façon «décontract’», «déconne», «enfumage de chicha» et «langage caillera», le tout ponctué de rires sporadiques jusqu’à provoquer quelques paroles évanescentes et inadmissibles, ce fut un immense sentiment de tristesse qui domina d’abord. Entendons-nous bien. Non pas un sentiment de tristesse pour l’international ivoirien lui-même; mais bien pour ce qu’il représente. Car depuis que Serge Aurier a déclaré devant une caméra d’amateur que son entraîneur Laurent Blanc était une «fiotte», que croyez-vous qu’il se passe à l’échelle des réactions? À peu près ce qu’il y a de pire. De nouveau, la mise en place d’une mécanique froide et implacable qui tient en quelques mots: une offensive en règle non pas contre certains joueurs qui feraient mieux, en effet, d’apprendre à se taire, mais contre leur origine sociale, pardi! En résumé, revoici l’éternel miroir déformé qui renvoie inlassablement l’image du bouc émissaire et consiste à penser et à dire que les Noirs et les Arabes des banlieues sont des voyous, et que, ainsi soient-ils, une majorité des footballeurs héritiers de ces classes-là sont donc des voyous et le demeureront, quoi qu’ils fassent, quoi qu’il arrive… Vous avez compris pourquoi: Serge Aurier a grandi à Sevran, au cœur de la Seine-Saint-Denis, et il en est fier et il n’a rien oublié –ses potes de la cité le voient toujours régulièrement.
Désolation. Ne soyons donc pas naïfs et souvenons-nous de la diatribe minable du nouvel académicien Alain Finkielkraut, quelques années en arrière, quand, avec d’autres, il fustigeait une sélection nationale «black, black, black», stigmatisant les quartiers populaires et ceux qui y vivent par un sous-entendu: ce n’est plus la France. Attention danger. Ce qui arrive avec Serge Aurier depuis une semaine est de même nature. D’où l’origine de notre désolation. Voilà surtout pourquoi le joueur du PSG n’a pas fait du mal qu’à sa propre personne –et à Laurent Blanc au passage– mais bien, au-delà de lui, à tous ceux qui se reconnaissent en lui, en mode identificatoire, ceux des quartiers, les minables, les moins que rien, les mal éduqués, les mal nourris, les exploités, les miséreux, les oubliés de la République, oui, ceux qui constituent la plus grande partie de la jeunesse de France, que ça plaise ou non! En parlant comme on peut le faire devant son poste de télévision («Aux chiottes l’OM», «Aulas, enculé!», «Parisien, j’ai niqué ta mère, sur la Cane-Cane-Canebière», etc.), Aurier n’a pas insulté que son coach. Il a insulté ceux qu’il aime sincèrement, à Sevran ou ailleurs, parce qu’il est des leurs et qu’il continue de les soutenir par tous les moyens, comme nous le montrent de très nombreux témoignages émouvants le concernant. Oui, il les a insultés parce que ce sont eux, et toujours eux, qui seront encore visés. Il les a insultés, parce que, indirectement, il offre une tribune en or à tous les réacs, qui n’en ont pourtant pas besoin, mais ne manqueront pas de l’utiliser. Facile, de maudire ces footballeurs récidivistes. À ceci près. Si Serge Aurier est inexcusable –«fiotte» est bel et bien une insulte à caractère homophobe–, le sport le plus populaire ne saurait être considéré comme hors-sol. Le football ne produit pas plus d’homophobes que dans le reste de la société, il suffit pour s’en convaincre de regarder autour de soi (sans commentaire). Un jour, Laurent Blanc avait déclaré que les Espagnols pouvaient développer un jeu rapide parce qu’ils n’avaient «pas de grands Blacks». Il a été pardonné depuis (mais pardonné par qui, au fait?). Quant à Serge Aurier, il a toujours été considéré comme un «camarade exemplaire», que ce soit à Sevran, Lens, Toulouse ou au PSG. Un bon camarade qui vient de raconter n’importe quoi, mais mérite mieux que de finir comme les Anelka, Ribéry ou Benzema, qui, eux, ne sont plus du tout représentatifs des quartiers populaires et incarnent désormais le pire du je-m’en-foutisme friqué…
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 19 février 2016.]