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Peinture de chevalet et société maghrébine (3).

Publié le 18 février 2016 par Naceur Ben Cheikh

b) L’adoption naive

Telle qu’elle est vécue de l’intérieur, cette position, n’en est pas une. Elle ne consiste pas en un choix prémédité et assumé en tant que tel. On ne peut donc parler d’attitude. Car, cela impliquerait une conscience au préalable de toutes implications que peut recouvrir le geste de peindre. Elle consiste donc à ne pas savoir que l’on ne sait pas. C’est à dire qu’elle peut être vécue comme adhésion innocente, et être à l’origine d’un plaisir réel que permet l’identification immédiate avec l’objet de son activité.

Mais la conscience subjective qui nourrit ce plaisir, passé le moment affectif de l’enthousiasme, ne résiste pas longtemps aux différentes questions que soulève la confrontation avec le réel vécu. Et à ce stade de l’expérience, deux orientations sont possibles.

La première consiste à faire acte de mauvaise foi (consciente ou inconsciente) et ne pas accepter la désillusion. Il y a alors une grande chance pour que l’artiste adopte une attitude qui relève d’un égocentrisme forcené et « paranoïaque », à partir duquel il rompt avec la réalité. Le mythe de l’artiste ‘incompris » est là pour le conforter dans son ignorance de soi et du monde tel qu’il est. Le mythe, ici, peut s’appeler la recherche de l’originalité, d’une « expression », d’un « style » particuliers, dans le cadre rassurant de cette universalité qui va de soi ou présentée comme telle par le miroir déformant et récupérateur de l’idéologie dominante. Cette mythification peut, également, provenir de la croyance, assez répandue, en une certaine idée métaphysique de l’art pour l’art. L’artiste peut, aussi, être conforté dans ses illusions par un public qui en a besoin, en tant que signe extérieur de progrès et de civilisation. Progrès, senti comme nécessaire, par identification à une histoire, non objectivée de l’autre, histoire que l’on prend pour modèle. Ce sentiment d’identification aliénante peut être aussi récupéré par un pouvoir politique, dans le but de signifier les résultats formels de son entreprise formaliste de « développement culturel ».

La deuxième orientation est l’acceptation de la remise en question, souvent culpabilisée. Elle consiste en la prise de conscience de l’aspect étranger de la pratique picturale en terre arabe. Découverte qui oblige à la recherche d’une alternative, puisée elle aussi dans le mythe. Ceci nous amène à la deuxième attitude, celle qui implique une fuite réactionnelle dans le passé et le « retour » aux sources.

c) Le rejet réactionnel

Cette attitude, celle du rejet réactionnel, relève en fait, elle aussi, d’une ignorance du réel et du refus de la contradiction qui lui sert de trame. Mais, à la différence de « 1’innocence de celui qui ne sait pas qu’il ne sait pas », elle s’accompagne d’une conscience malheureuse, sur fond de nostalgie, qui abolit d’une manière magique le présent, considéré comme « impur ». Dans la pratique, elle se traduit, par une sacralisation de l’histoire de l’art musulman (sous ses formes « classiques ») ou bien celle des produits gélifiés d’art et traditions populaires.La mythification passe, cette fois ci, par une volonté, irrationnelle et forcément affective, d’identification au père (ou plutôt à l’ancêtre) en recourant à la re-production de ses productions, après les avoir déracinées de leurs contextes historiques propres, en les érigeant comme modèle inviolables et déréalisants.

Ce choix, contredit par la présence effective, dans la réalité vécue, du modèle d’origine étrangère, (considéré comme impur et comme violence perpétrée contre une structure sociale idéalisée), se révèle bientôt inefficace et incapable de répondre aux exigences du moment historique particulier que l’on vit. Mais pareil choix peut être maintenu, malgré l’aspect irréel et inefficace de la pratique dans laquelle il induit celui qui le fait. Mais ce choix, étant donné qu’il est issu d’une explication idéologique et non scientifique du réel, peut correspondre, par ailleurs, aux besoins d’une fraction de la population, dont les membres sont victimes de la vision salafiste (traditionaliste-integriste) de l’histoire. Cette frange de la population pourrait, le cas échéant, constituer un public cible qui peut se révéler assez intéressant pour l’artiste qui aurait opté pour ce choix.

En fait, le rejet réactionnel de la pratique culturelle importée et dans ce cas, celui de la peinture de chevalet, équivaut à son adoption naïve et aliénante. Comme on le sait le refus de l’autre est une forme camouflée du refus de soi. Refus qui se concrétise, dans le cas qui nous concerne, par la fuite dans le passé mythique et par l’absence à l’histoire. Devant cette fausse alternative, le peintre arabe et maghrébin, est amené, « naturellement », à adopter l’idée d’une conciliation qui peut lui sembler possible entre une « modernité » imposée et obsédante et une volonté affective d’être soi. Ce qui nous amène à évoquer la troisième altitude, la plus répandue, la plus actuelle, et celle qui répond le plus aux discours idéologique positiviste, qui, de l’Irak au Maroc, promet aux arabes le progrès dans la continuité.

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