Guinée équatoriale : pénurie de carburant dans un pays riche en pétrole

Publié le 17 février 2016 par Unmondelibre
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La Guinée équatoriale est le troisième producteur de brut en Afrique subsaharienne derrière le Nigeria et l’Angola. Sa production est estimée entre 400 000 et 600 000 barils par jour. Pourtant, depuis la fin d’année 2015, les files d’attente s’allongent devant les stations essence à Malabo et à Bata. Comment expliquer cette pénurie de carburant ?

D’abord, cette pénurie est due à un manque de raffineries et à une dépendance au marché extérieur. La Guinée équatoriale est un grand pays producteur de pétrole qui ne possède aucune raffinerie. Ainsi, le pays exporte son brut et importe son carburant de l’étranger, principalement du Gabon, du Cameroun et de la Côte-d’Ivoire. Deux compagnies se partagent le marché : la multinationale Total et la compagnie nationale Gepetrol. Un retard dans le calendrier des livraisons de Total aurait conduit à l’insuffisance des stocks en réserve. En juillet 2013 déjà, des pompistes de Total ne mettaient en vente qu’une citerne de 8000 à 10000 litres de carburant par jour dans le but d’éviter les risques d’épuisement des stocks avant le réapprovisionnement. Cette dépendance au marché extérieur pose un réel problème d’insécurité nationale déjà observé dans d’autres secteurs comme l’alimentation dans la mesure le changement (in)volontaire de comportement du fournisseur suite à une tension politique ou à la conjoncture est de nature à déstabiliser immédiatement la politique et l’économie nationales.

Ensuite, la pénurie de carburant en Guinée équatoriale serait aussi due à un problème d’insolvabilité du gouvernement équato-guinéen qui ne paierait pas ses factures à temps. En juillet 2013, par exemple, c’est une facture de 4 milliards de FCFA non-réglée à Total qui aurait conduit aux changements dans le calendrier de livraison en direction de Malabo. Le même motif est encore énoncé en 2016. Pourquoi cette insolvabilité ? La raison la plus probable est le déficit causé par la chute du coût du pétrole sur le marché international. En effet, le litre de carburant coûte 500 FCFA (moins d’un dollar américain) en Guinée équatoriale suite à la subvention de l’Etat. En l’état, il serait difficile pour l’Etat de reverser au contribuable les recettes qui n’entrent plus. Cette insolvabilité conduirait les courtiers à préférer d’autres destinations à la Guinée équatoriale. En ces circonstances, il convient pour le Gouvernement équato-guinéen de réformer le système de subventions et de soumettre les prix du carburant à la loi de l’offre et de la demande comme en Côte d’Ivoire.

Enfin, la pénurie de carburant en Guinée équatoriale serait due à un problème de gestion patrimoniale. Une tension politique et/ou diplomatique était née entre la France et la Guinée Equatoriale suite à l’éclatement en France de l’affaire des « Biens mal acquis » et à sa progression par le lancement en mars 2012 d’un mandat d’arrêt international contre Teodoro Nguema Obiang Mangue, fils du président équato-guinéen, vice-président du PDGE, le parti présidentiel, et deuxième vice-président de la République de Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l'État. Cette tension avait conduit le gouvernement équato-guinéen à rompre le monopole de l’entreprise française Total dans la fourniture du carburant par l’agrément de l’entreprise nationale Gepetrol. Cela avait obligé Total à réduire ses livraisons en direction de la Guinée Equatoriale alors que Gepetrol ne se préparait pas à combler ce déficit. Pourquoi ?

Parce que, comme  d'autres entreprises publiques et parapubliques, Gepetrol a été confiée au mépris des critères du mérite et de l’efficience à Candido Nsue Okomo, petit beau-frère du président Teodoro Obiang Nguema. Ainsi, cette entreprise publique, censée pallier les fluctuations des livraisons de la multinationale Total, n’est pas exempte de tous reproches non plus.  Une instrumentalisation du nationalisme antifrançais est développée en lieu et place de l’établissement des responsabilités. Par exemple, à l’issu d’un Conseil des ministres présidé par le président Teodoro Obiang Nguema, en juillet 2013 lors d’une des pénuries, Agustin Nze Mfumu, alors ministre de l’information et porte-parole du gouvernement, avait lu à la télévision d’Etat un communiqué du gouvernement qui disait : « l’absence de carburant dans les stations Total est la conséquence des manipulations des personnes et cercle du pouvoir Français qui visent à provoquer le mécontentement de la population afin de déstabiliser la Guinée équatoriale ». En 2016, Diario Rombe du PDGE (parti au pouvoir) a repris cette position gouvernementale et a dénoncé une « opération de déstabilisation » méritant une manifestation devant l’ambassade de France à Malabo. Cette sortie a suscité un démenti de l’Ambassade de France, par voie de communiqué, le 9 février 2016 dénonçant des informations « entièrement fantaisistes et dénuées du moindre fondement ». Quel que soit le cas, il convient de signaler que cette  pénurie est aussi la faute de Gepetrol dont les stations-services sont à sec.

Il convient de constater par ailleurs que les responsabilités du ministère des mines, énergie et industries ne sont pas établies. Ce département est sous la responsabilité de Gabriel Mbega Obiang Lima l’un des fils du président Teodoro Obiang Nguema. Pourtant, il avait été nommé par décret présidentiel à la tête du comité en charge de la révision des prix des produits dérivés du pétrole en vue d’étudier les voies et moyens pour la diversification de l’attribution des autorisations de vente du carburant aux privés, autres que Total et Gepetrol. A ce jour, le bilan est mitigé.

Tout compte fait, la pénurie de carburant en Guinée Equatoriale, comme ça se produit aussi en Algérie ou au Nigéria pour ne citer que ces pays, remet sur la table l’impératif de la transformation et la valorisation locale des ressources naturelles des pays africains. Deux solutions s’imposent : à court terme, la lutte contre le quasi-monopole de quelques multinationales, la création de la libre compétition ou de la concurrence dans la distribution des produits pétroliers et la diversification des sources d’approvisionnement. A moyen et à long terme, il convient de développer l’industrie de transformation ou de raffinage sur place pour sortir les pays africains de la dépendance et de la vulnérabilité, au lieu de continuer à  se complaire dans la victimisation et la théorie du complot. Ceci étant valable aussi bien pour la Guinée équatoriale que pour les autres pays africains exportateurs de ressources naturelles à l’état brut.

Par Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA – Le 17 février 2016