Note: 3,5/5
A l’annonce d’un nouveau film des frères Safdie, nous étions en droit de nous attendre à un film coloré, émouvant sur les petites choses de la vie qui en font sa magie. En deux films et des courts métrages, ils ont construit un univers bienveillant et attachant. Ce troisième long métrage est le fruit de leur rencontre hasardeuse avec Arielle Holmes, ce film est son histoire.
Alors que l’on imagine aisément que leurs précédentes réalisations sont assez proches de leur propre vécu et de leur personnalité, Mad Love in New York traite de personnages extrêmement différents d’eux.
© radius entertainment & iconoclast
Le film condense le récit autobiographique d’Arielle Holmes, nommée Harley dans le film, lorsqu’elle était dépendante à l’héroïne et vivait dans les rues de New York, et son histoire d’amour passionnel avec Ilya. C’est Josh Safdie qui, passionné par la personnalité et la vie d’Arielle, l’a poussée à écrire son histoire, quasiment devenue scénario du projet. En toute logique Arielle a joué son propre rôle devant la caméra.
Pour ce long métrage, les deux frères ont voulu un film plus vrai que nature. Arielle Holmes et Ilya Leontyev étaient très présents dans les décisions du tournage pour garantir l’exactitude des faits. Rares sont les acteurs professionnels présents dans le casting ; même les lieux de tournage n’étaient pas fermés aux passants pour conserver le plus de vérité possible. Les réalisateurs voulaient être entre fiction et réalité en permanence et tant pis si la vraie vie prenait le pas sur le film et le bloquait quelque fois.
Cette attention est récompensée dans le film par un réalisme effectif, soutenu de plus par des comédiens (professionnels ou non) excellents. Sans chercher à exagérer la véracité des situations et des personnages par une esthétique de reportage, les réalisateurs restent fidèles à leur mise en scène habituelle, jouant naturellement du découpage sans tenter de grossir les traits de leur récit. Il n’est alors pas question d’une caméra portée trop immersive et souvent surfaite. Ils filment le récit d’Arielle comme ils filmeraient une fiction intimiste, en utilisant notamment de nombreux très gros plans. Si nous ignorons la genèse du projet nous pouvons tout à fait croire à un film pleinement fictionnel. Le travail du montage et de la musique aussi nous rappelle à l’objet mis en scène que nous regardons.
Le film est ainsi un parfait mélange entre fiction et réalité, hyper réalisme du tournage et maniérisme du montage. On pense en l’occurrence au générique de début du film : le plan séquence violent de l’expérience d’Harley en hôpital psychiatrique est monté muet alors que les personnages hurlent. Ce plan est beau, artistique et fort, mais met aussi en lumière son artifice : c’est un plan de cinéma que nous pouvons rendre muet, accélérer ou ralentir selon le désir des réalisateurs. A partir de ce plan nous ne pouvons plus ignorer la mise en scène.
Si nombreux sont ceux qui applaudissent ce film pour son Histoire, nous préférons l’apprécier pour sa petite histoire ; celle de cette fille Harley passionnée pour Ilya jusqu’au bout des ongles. C’est une histoire de passion dévorante et destructrice. Ilya et Harley font partie d’une part de la population peu regardée, dans les rues de New York ils intègrent une véritable deuxième société où tout se vit au jour le jour. Harley est une héroïne romantique, fonçant tête baissée dans ses pulsions sans regarder les dégâts qu’elles ont déjà causés. Alors que cet amour la détruit et la trompe toujours, elle y est aussi accro qu’à l’héroïne qu’ils piquent dans leurs bras. Comment alors ne pas ressentir d’empathie pour ce personnage si romanesque ?
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Le film est une immersion réussie dans la vie paumée d’une jeune droguée à New York, et évite les pièges de telles reconstitutions. Pour autant nous ne sommes pas transcendés par le récit, et alors que la genèse du film devrait rester accessoire, c’est elle qui crée la plus-value du film.
Marianne Knecht
Film en salles depuis le 3 février 2016