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Ta façon d'être au monde, de Camille Anseaume (+ interview)

Publié le 17 février 2016 par Alice Join @Alice_sur_twitt
Ta façon d'être au monde, de Camille Anseaume (+ interview)

Je ne sais pas si vous connaissez la théorie des 6 poignées de main ou 6 degrés de séparation, mais en gros, chaque personne peut être reliée à un autre, à l'autre bout du continent, grâce aux chaines individuelles de connaissances.

Il a fallu deux personnes pour "rencontrer" Camille et que ma boîte aux lettres abrite son livre quelques jours plus tard. J'ai lu, et aimé. Tant que je ne pouvais pas rater l'occasion de poser "pour de vrai" les interrogations que j'avais en tête ; Camille a très gentiment accepté de se prêter au jeu des questions/réponses (je n'oserais pas évoquer l'interview tant je ne maîtrise pas l'exercice).

Résumé éditeur: Elles sont amies d'enfance. L'une est inquiète, rêveuse, introvertie ; l'autre est souriante, joyeuse, lumineuse. Ensemble, elles grandissent, découvrent la vie, l'amour. Jusqu'à ce qu'un drame bouleverse le monde qu'elles se sont bâti... Un roman poignant sur l'amitié, le deuil, et sur ce point de bascule irréversible qui sonne la fin de l'insouciance.

Le livre se divise en deux parties égales : la première évoque l'enfance et l'adolescence de "Elle", le personnage principal, que l'on pourrait penser en souffrance depuis son plus jeune âge. La difficulté d'exister, d'être, de porter ses maux existentiels et en chercher les causes.

C'est un personnage sensible et émouvant. Son regard sur le monde est par moments bouleversant et on se demande comment on peut "tenir" si jeune avec de si grosses fragilités, ce besoin excessif du contrôle. On s'indigne parce que la situation, à plusieurs reprises, est alarmante, et comment la mère est passée à côté de la souffrance de son enfant.

Comment peut-on vivre si jeune (et si mal) avec une si grande conscience de la mort?

A la moitié de l'ouvrage, le " Elle" devient " Je" , "la petite fille" devenue grande s'affirme avec son propre pronom personnel, même si le récit devient moins introspectif. C'est l'âge des relations aux autres plus affirmées, l'âge de l'indépendance et de la liberté.

C'est un roman sur la difficulté de s'aimer soi-même, et le danger de s'aimer à travers le regard et la présence de l'autre. Que peut-on apporter à l'autre quand on pense n'avoir rien à offrir? On s'interroge aussi sur les liens de l'amitié d'adolescence : pourquoi on se choisit? parce qu'elle est celle que l'on aimerait être? est ce que l'amitié se teinte inévitablement de la couleur du désir : de ce que l'autre est? de ce qu'il représente pour nous.

Peut-on se perdre dans une amitié aux attentes inégales?

C'est un roman d'apprentissage, où les expériences font grandir et dévoilent un monde où les illusions n'ont plus leur place (comme cet épisode où les deux petites filles vont vendre un carton de Barbie pour financer leur "fugue", peu conscientes du prix qu'elles peuvent en exiger. Un acheteur les leur prend pour 5 euros le tout, et elles retrouvent le contenu du carton ( des dizaines de Barbie et accessoires) sur son étal, à 5 euros l'article.

Et puis il y a ce jour où la vie prend un virage, où le drame interrompt l'insouciance pourtant vaguement trouvée : où la mort fauche en plein vol la vie du groupe d'amis et l'amitié devient un rempart contre le vide, une sécurité contre le vide qui naît de l'absence de l'autre.

La chute, est tout aussi brutale que pourrait l'être celle d'une nouvelle, brutale mais quelque part prévisible dans inconscient du lecteur. La relecture du roman inviterait à retrouver les indices qui amènent à la révélation et à son issue.

Ta façon d'être au monde est un beau roman avec des personnages forts, que l'on n'oublie pas. L'écriture est belle, une génération s'y retrouvera sans aucun doute, dans les détails, dans les sentiments.

Camille Anseaume est assurément une auteure que l'on aura envie de retrouver et dont les histoires transportent au plus profond de nos souvenirs, autant qu'au plus profond de nos sentiments.

"Tu souris et je me dis voilà ce que j'aurais aimé te répondre. Elle a les mots que je ne te dis pas. J'envie l'élégance avec laquelle elle et Emilie endossent les habits du deuil, le naturel de leur posture. Comme moi, Emilie parle peu depuis quelques jours, mais nos silences ne sont pas les mêmes. Le sien a quelque chose de fluide et de doux. Il est sa réponse discrète, sa communions silencieuse. Le mien bourdonne à mes oreilles comme un acouphène rempli du brouhaha de tout ce que je tais." Questions à Camille Anseaume :

Ta façon d'être au monde : un roman d'amitié? d'apprentissage? Comment le qualifieriez-vous?
C'est difficile de qualifier son propre livre, parce que cela suppose d'être très au clair sur l'intention portée devant le lecteur. Or, ce qui me fascine dans cette aventure qu'est l'écriture, c'est justement l'appropriation que fait le lecteur de ce qu'on lui met entre les mains. Il y a mille livres à l'intérieur d'un livre, parce qu'il y a mille façons de le recevoir, de le comprendre. Dans les retours que j'ai, certains me parlent de l'histoire d'amitié, d'autres de l'évolution de la narratrice, d'autres du deuil. Les lecteurs ne retiennent pas tous la même chose, comme si l'histoire s'adressait à eux de différentes façons, selon leur histoire, leur sensibilité.

L'utilisation peu conventionnelle des pronoms personnels et de la désignation des personnages vous est apparue comme une évidence?
Oui, complètement. Je n'ai pas eu à cœur de faire quelque chose d'original, je n'avais d'ailleurs pas conscience que ça l'était tant que ça. J'ai écrit d'abord la deuxième partie, puis la première. Quand j'ai commencé à traiter de l'enfance de la " narratrice ", le " elle " est venu tout seul, parce que cette femme, dans l'enfance, n'était pas " dans son corps ". Elle n'était pas incarnée, elle ne pouvait pas parler d'elle à la première personne du singulier. Elle parle d'elle quand elle était enfant avec une telle distance que le " elle " s'est imposé. Le " tu ", lui, ne change pas. Tout le livre s'adresse à la même personne, l'amie d'enfance, que l'on découvre grandir. J'ai été étonnée que parfois les gens soient autant décontenancés. Je comprends qu'il faille un peu de temps pour s'habituer à cette narration, mais c'est finalement assez simple : dans la première partie, une voix s'adresse à quelqu'un, un " tu ", pour lui raconter son enfance, et en particulier son amitié avec une petite fille. Puis, dans la deuxième partie, c'est cette petite fille devenue grande qui prend la parole, et continue le récit.

Quand vous avez commencé l'écriture de ce roman, aviez-vous en tête la chute? Pas du tout. C'était hyper étrange. Pour différentes raisons, j'ai mis beaucoup de temps à achever ce livre. Je n'avais aucune idée de la fin. Et un jour, j'ai tout relu, et je suis tombée de ma chaise. C'est comme si mes personnages m'avaient caché quelque chose, et que je venais de le réaliser, brusquement. Comme si la chute était déjà pré-écrite, mais que je ne le savais pas encore. Il y avait des indices partout, et pourtant je n'avais rien vu. Vraiment, ce n'est pas moi qui ai écrit la fin, mais mes personnages qui ont fait leur vie tout seuls.

J'imagine qu'il y a une part d'autobiographie dans le roman, au-delà du fait que la première partie du récit est l'abandon progressif des illusions, est-ce que vous vous reconnaissez dans cette petite fille en souffrance?
Cette petite fille a des choses en commun avec moi, comme par exemple une inquiétude sur le temps qui passe, une nostalgie très forte, à un stade très précoce. Le temps, c'est un thème qui m'habite complètement. Alors je me suis inspirée de mes sensations, bien sûr, mais j'ai aussi forcé le trait.

Vous connaissez inévitablement mieux vos personnages que les lecteurs. Est-ce que vous avez le sentiment d'avoir "fait le tour" des émotions du personnage principal? Ce personnage m'échappe en partie, pour la bonne et simple raison qu'elle s'échappe en partie à elle-même. Et puis je n'ai pas voulu dresser un portrait psychologique complet, j'ai voulu livrer des morceaux d'elle, assez épars, pour rendre compte justement de son aspect " dispersé ". J'ai voulu qu'elle reste floue, comme une silhouette, parce qu'elle se sent dans la vie floue, comme une silhouette.

Quand vous avez commencé l'écriture de ce roman, aviez-vous en tête la chute? Pas du tout. C'était hyper étrange. Pour différentes raisons, j'ai mis beaucoup de temps à achever ce livre. Je n'avais aucune idée de la fin. Et un jour, j'ai tout relu, et je suis tombée de ma chaise. C'est comme si mes personnages m'avaient caché quelque chose, et que je venais de le réaliser, brusquement. Comme si la chute était déjà pré-écrite, mais que je ne le savais pas encore. Il y avait des indices partout, et pourtant je n'avais rien vu. Vraiment, ce n'est pas moi qui ai écrit la fin, mais mes personnages qui ont fait leur vie tout seuls.

A quel moment vous, en tant qu'auteur, avez eu la sensation d'avoir achevé la rédaction? Dès que j'ai trouvé la chute. Dès que je l'ai démasquée, plutôt. Au moment précis où j'ai compris ce que mes personnages me cachaient, tout est devenu clair. Ca a été le vrai point final. Sur le reste, je n'ai pas cette névrose de l' " inachevé ". Sans doute parce que je suis pleinement consciente que tout est perfectible, toujours, et que ce serait très présomptueux de rendre un texte en estimant qu'il a atteint cette perfection. Ce qui me tient à cœur, c'est de le livrer au moment où j'ai l'impression que j'ai dit ce que j'avais sur le cœur, que j'ai fait passer mon message. Je crois aussi que je n'aime pas les choses trop propres, parce qu'elles perdent de leur aspérité. Peut être que c'est une excuse de feignasse, mais je pense qu'il ne faut pas trop revenir sur ce qui a été écrit, du moment que ça " sonne juste " pour soi, c'est à dire du moment que le propos est sincère, transparent.


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