Partager la publication "[Critique] ZOOTOPIE"
Titre original : Zootopia
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateurs : Byron Howard, Rich Moore, Jared Bush
Distribution voix : en V.O. : Ginnifer Goodwin, Jason Bateman, Idris Elba, Jenny Slate, Nata Torrence, Bonnie Hunt, J.K. Simmons…/en V.F. : Pascal Elbé, Claire Keim, Fred Testot, Thomas Ngijol…
Genre : Comédie/Policier/Aventure/Animation
Date de sortie : 17 février 2016
Le Pitch :
Tous les animaux cohabitent à Zootopie, une mégalopole en pleine ébullition où règne l’harmonie. Pourtant, pour Judy, une jeune lapine, les choses sont un peu plus compliquées. Désireuse d’imposer son autorité dans les services de Police, où elle est la seule de son espèce, elle découvre qu’il est parfois difficile de faire son trou au milieu d’animaux plus imposants. Quand elle tombe sur une délicate affaire, la nouvelle recrue voit pourtant l’opportunité de gagner ses galons. Mais c’était sans compter sur Nick Wilde, un renard spécialisé dans la petite arnaque, avec lequel elle va devoir faire équipe…
La Critique :
Il ne fut jamais évident pour Disney de s’imposer en solo depuis l’émergence de Pixar. Quelque peu bloqué dans des schémas certes hyper fédérateurs, mais pour autant parfois un peu vieillots, le studio aux grandes oreilles essaye depuis plusieurs années de livrer des films aux divers degrés de lecture et semble ainsi désireux de ne plus seulement tabler sur la bonne vieille formule « conte de fée » assortie de plusieurs chansons. En parallèle de gros cartons comme Raiponce et surtout La Reine des Neiges, Disney essaye alors d’innover. De venir chatouiller la concurrence mais aussi Pixar, qui pour rappel, appartient néanmoins à Mickey. L’année dernière, Les Nouveaux Héros avait ainsi réussi ce que Les Mondes de Ralph avait manqué de peu : incarner un spectacle enlevé, rythmé, inventif, drôle, malin et truffé de références toutes aussi bien digérées les unes que les autres.
Bonne nouvelle : avec Zootopie, Disney récidive !
Il convient tout d’abord de saluer l’extraordinaire travail des animateurs et autres designers. Zootopie est probablement à ce jour l’un des plus beaux films Disney. Que l’on parle de l’apparence des personnages ou de la richesse des univers présentés, le long-métrage est une authentique merveille, riche en surprises. Dans les premières minutes, alors que s’installe tranquillement l’histoire, la découverte de la ville géante de Zootopie et de ses environs constitue un enchantement en soi. Fourmillant de détails, aux quatre coins de l’écran, le monde qui s’ouvre à nous est non seulement accueillant mais aussi par bien des aspects fascinant. Le plus beau étant d’arriver à nous surprendre en quasi-permanence grâce à une audace de tous les instants et à un soin pour le moins incroyable apporté à de toutes petites choses qui n’apparaissent pour certaines que quelques secondes. Festival de couleurs, le film est spectaculaire, mais ne cède pas pour autant à la démonstration de force gratuite, même si certaines séquences, à l’image de la poursuite dans le quartier des souris, s’avèrent relativement incroyables. Tout s’imbrique à la perfection dans ce tableau de maître à la beauté flagrante, qui sait également, à l’instar des plus grandes œuvres du genre, distiller, par la seule puissance évocatrice de ses images, une poésie indéniable. Force est alors de reconnaître qu’encore une fois, Disney a profité de l’occasion pour asseoir sa position. Encore et toujours, presque 80 ans après la sortie de Blanche-Neige et Les Sept Nains, le studio est le garant d’une magie qui lui est propre.
Cela dit, ce n’est pas sans quelques réserves que peut s’appréhender Zootopie. Oui, certes, la beauté des images rassure et captive, mais il est aussi légitime de se demander qu’est-ce que Disney avait de si intéressant à nous raconter pour justifier un long-métrage de presque 2 heures (1h 48 au compteur) ?
À vrai dire, c’est simple : ici, l’ambition est clairement affichée et au risque de s’aliéner les plus jeunes, Zootopie choisit d’aller dans plusieurs directions, parfois diamétralement opposées, pour au final imposer une lecture sur plusieurs niveaux.
Il y a tout d’abord Judy, cette petite lapine policière venue de la campagne. Dès le début, alors qu’elle n’est encore qu’un petit lapin, Judy nous explique que son monde comprend deux grandes catégories d’êtres vivants : les proies et les prédateurs. Il y a très longtemps, les seconds, pourtant beaucoup moins nombreux, chassaient les premiers. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Sur scène d’ailleurs, pour l’accompagner, un petit tigre lui renvoie la balle. Cela dit, Judy a aussi conscience qu’à Zootopie, malgré l’apparente tolérance qui règne, la vie de policière est beaucoup plus compliquée pour un lapin (une proie donc) et à plus forte raison pour une lapine. Alors Zootopie, grand film féministe ? C’est un fait, la réponse est oui. À l’instar de Raiponce ou même d’Anna et d’Elsa de La Reine des Neiges, Judy est une véritable héroïne. De celles qui n’ont pas besoin d’un prince pour les sortir des problèmes. Le truc, c’est qu’elle, en plus d’imposer une figure forte de femme d’action, va un peu plus loin. Après tout, elle n’a rien d’une princesse. Ses armes sont son courage, son ambition et son sens moral et non ses atouts féminins.
Il ne faut bien sûr pas oublier Nick, le renard avec lequel Judy est contrainte de collaborer, mais sans omettre de souligner le caractère complémentaire de leur duo. Ce n’est pas lui qui vole au secours de la pauvre lapine. Constamment, Judy mène la danse et le tandem de venir s’inscrire dans la lignée des grands buddy movies du film d’action américain. Elle est le flic sérieux et pugnace et lui le petit rigolo qui en a dans le ciboulot.
D’une modernité bienvenue, Zootopie se paye également le luxe de ne jamais enfoncer des portes ouvertes. C’est sans chercher à se démarquer, en évitant soigneusement toute forme de démagogie, qu’il finit par s’illustrer et par sonner vrai. Judy, Nick et les autres personnages subliment les stéréotypes auxquels ils appartiennent, au-delà des clichés et de la bien-séance trop sirupeuse, quand bien même la nature du discours aurait justement pu inciter les scénaristes à tomber dans les excès.
Le plus beau étant que Zootopie ne s’arrête pas là. En plus de mettre en avant ce qui devrait en toute logique rester comme l’une des héroïnes les plus attachantes et fortes de l’univers Disney, le film se fend également d’un discours incroyablement bien vu sur la tolérance.
Dans la ville, tous les animaux vivent ensemble. Les plus petites souris frayent avec les plus gros rhinocéros. Les girafes et les lions sympathisent. Personne ne mange qui que ce soit. Dans Zootopie se cache le mot utopie et c’est bel et bien de cela dont il s’agit. De prendre en compte les différences de chacun au lieu de chercher à les gommer, car là se trouve la clé de l’entente. D’encourager les initiatives personnelles et d’aller au-delà des préjugés.
Entre d’autres mains, une telle morale aurait rapidement pu se casser la figure, mais pas ici. Ici, le message passe. L’important n’est pas dans le fond, mais dans la forme, qui sublime les idées au centre d’un scénario plus malin que prévu. Le long-métrage, éloquent au possible, ne sacrifie aucun de ses aspects au profit d’un autre et ce n’est vraiment qu’à la fin, que l’on découvre, non sans être impressionné, que tous les éléments convergent avec une pertinence rare vers un seul et même but. Dans ces circonstances, et au vue de la maîtrise dont ont fait preuve les artisans Disney sur ce coup-là, il ne serait pas exagéré d’avancer que Zootopie est le premier film du studio à être ouvertement politisé. Dans le bon sens du terme. Sans souligner à l’extrême ce qui n’a pas besoin de l’être. Juste en parvenant à raviver la puissance d’un discours coulant de source, grâce à des personnages bien écrits et à une intrigue simple et pleine de sens.
Mais le film du trio Byron Howard/Rich Moore/Jared Bush n’est pas seulement une ode intelligente à la tolérance, féministe de surcroît. Non, car Disney a vraiment décidé de frapper fort. Et donc, cerise sur le gâteau, Zootopie est aussi un vrai film policier. Un hommage non déguisé à L’Arme Fatale, à 48 Heures, à Une Journée en Enfer et à tous les buddy movies ayant fait les belles heures du cinéma d’action dans les années 80/90. Les clichés, comme les fameux personnages qui ne peuvent pas se voir en peinture (ici un renard et un lapin, soit, dans la nature, un prédateur et sa proie toute désignée, c’est très bien vu), le film les arrange à sa sauce, afin de servir une enquête rondement menée, dont le dénouement et le déroulement viennent remarquablement bien servir le discours global. Avec ses airs de film noir, ses punchlines et son action parfois renversante, Zootopie prend totalement au sérieux sa dimension purement divertissante.
On pourra bien sûr contrebalancer ce déluge de superlatifs en soulignant, qu’avec un petit quart-d’heure de moins, le film aurait gagné en efficacité pour ce qui est du côté « policier » de son intrigue, tout comme il est également dommage que les quartiers de la ville, tous plus fascinants les uns que les autres, ne soient pas tous exploités comme ils l’auraient mérité. Parfois, les réalisateurs semblent un peu se perdre dans le monde hyper vaste qu’ils ont créé. La comédie en fait d’ailleurs aussi un peu les frais. C’est un fait, Zootopie rate parfois le coche à ce niveau-là. Amusant mais rarement hilarant, il mise davantage sur l’émotion, ce qui pourra en cela contribuer à perdre le jeune public.
Mais au fond, si on ne rit pas aux éclats et si parfois la rythmique accuse quelques ratés, l’important est ailleurs. Dans l’incroyable puissance d’un discours intelligent. Dans la force et l’évidence de la métaphore également. Véritable fable, Zootopie réussit l’essentiel et va bien au-delà du simple dessin-animé pour enfants. Il fait de sa naïveté sa force principale, se débarrasse de tout cynisme et touche en plein cœur assez souvent pour susciter l’admiration.
@ Gilles Rolland