TRISSOTIN ou LES FEMMES SAVANTES au Théâtre Jean-Claude Carrière – Montpellier

Publié le 16 février 2016 par Idherault.tv @ebola34
Compte-rendu et impressions sur TRISSOTIN ou LES FEMMES SAVANTES au Théâtre Jean-Claude Carrière - Montpellier le 12 février 2016

RETOUR SUR TRISSOTIN ou LES FEMMES SAVANTES

de Molière

Théâtre Jean-Claude Carrière

Domaine d'O - Montpellier

Vendredi 12 février - 20h

Distribution :

Texte : Molière

Mise en scène, décor et costumes : Macha Makeïeff

Avec:

Marie-Armelle Deguy: Philaminte

Louis-Do de Lencquesaing: Chrysale

Arthur Igual: Ariste

Maud Wyler: Armande

Vanessa Fonte: Henriette

Geoffroy Rondeau: Trissotin

Thomas Morris: Bélise

Ivan Ludlow: Clitandre

Atmen Kelif: Vadius

Karyll Elgrichi: Martine

Arthur Deschamps: L'Epine, Julien

Camille de la Guillonnière: Le Notaire

Production : Théâtre national de Marseille La Criée

Coproducteurs : Festival des Nuits de Fourvière ; TGP - Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis ; Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre

Avec le soutien du Centre Dramatique Régional de Tours.

Trissotin ou le Triomphe de Macha !

" Jouer Les Femmes savantes c'est évidemment le plaisir de retrouver la langue et l'humeur de Molière, à qui il reste une année à vivre lorsqu'il interprète cette pièce quasi testamentaire. Un homme fatigué, trahi, admiré et détesté, - vie privée, vie publique - mais qui garde son insolence et son goût de la provocation des ordres établis, qui se rappelle Gassendi et les élans hédonistes de sa jeunesse au Collège de Clermont, refuse le sectarisme et les esprits étroits, et rit des travers d'une famille bourgeoise qui va sens dessus-dessous. "

Ce titre provocateur et ce prologue, signé Macha Makeïeff, deux repères, en guise de frontispice, pour marquer une réalité incontestable. Molière a écrit (quoi que... si on en croît certaines rumeurs !) un chef d'œuvre, une de ses dernières productions, et Macha en a fait la pièce que nous venons de voir. Cette pièce, elle l'avoue, l'a mise dans " un état monomaniaque, hantée par le spectacle que je répète avec la troupe depuis un mois, toquée du texte de Molière depuis un an, obsédée par les moindres gestes des acteurs, par les objets qu'ils manipulent, les sons, les couleurs, la lumière, le sens de toute cette agitation, parce que je ne dors quasiment plus, totalement envahie par l'entreprise. "

C'est bien à cette obsession, cette envie irrépressible, que nous sommes confrontés durant plus de deux heures. Entreprise qui, de prime abord, a de quoi dérouter, surprendre et même désarçonner et pourtant. Une fois passée le décalage entre un décor très " années 70 " et une langue raffinée, précieuse (dans le bon sens du terme) à l'extrême - Ah, ces terminaisons en i-on bien détachées, prosodie oblige - on se prend au jeu et quel jeu !

Jeu des acteurs, excellents, avec en tête une Bélise, rôle " travesti ", portée par un Thomas Morris génial, plus vrai que nature. Et que dire de la délicieuse Henriette, fraîche et naturelle Vanessa Fonte ? Tout est parfait les acteurs jouent et se jouent de nous qui, décalage oublié, licences accordées, restons " scotchés " devant l'impensable : Molière et un électrophone, Molière et la " chimie amusante, Molière et des jeux amoureux où l'érotisme est palpable et la sensualité de plain-pied ! Que dire de Trissotin, le discret (dans la vie) mais efficace Geoffroy Rondeau, clone presque parfait de Conchita Wurst, remarquable dans un rôle aussi vénéneux et pervers que celui de Tartuffe. Chrysale est pitoyable dans ses tentatives de reprendre la main face à une Philaminte à la folie déclarée - il n'est qu'à se repasser ses envolées verbales touchant parfois à l'hystérie - et Martine, Clitandre, Ariste ne sont pas, non plus des laissés pour compte. Tout est parfait, vous dis-je ! Pour m'en persuader je viens de me m'offrir une nouvelle vision de l'œuvre (le lien figure ci-dessous), 2h 19' 48'' de bonheur croissant. L'échange entre Clitandre et Trissotin est une vraie merveille et " qu'un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant ", voilà une maxime qui, aujourd'hui encore, garde sa pleine saveur et toute sa pertinence ! Quel talent, quel plaisir d'entendre une belle langue servie par un réel talent.

Alors peu nous importe que Macha, toute à son obsession, veuille nous démontrer les intentions féministes de Molière et que " plus que la misogynie, latente ou explicite que Molière fait entendre, c'est cette terreur que provoque chez les hommes l'illimité du désir féminin qui m'a intriguée - ici désir de savoir, de science, de rêverie et de pouvoir - et plus encore le désarroi masculin qui en découle. Ici, les excès des femmes, chimère érotomane de la tante, folie sectaire de la mère et de la fille aînée, rébellion ardente de la cadette, insolence sauvage de la cuisinière, envahissent dangereusement et délicieusement l'espace domestique. La maison Chrysale vrille. Les femmes de la maison se perdent dans les impasses d'une émancipation impuissante face à un mari dépassé et pleutre, un frère manipulateur, un amant hésitant et un intrus, parasite cynique et séducteur. Un vent de folie et de désastre souffle sur la maison. " C'est réussi !

Réussie, aussi, l'intrusion de la musique dans le déroulement de la pièce. Depuis la vision " pop " du " One Charming Night... " extrait revisité et omniprésent du " The fairy queen " de Purcell, jusqu'aux références à Grétry et autres compositeurs d'époque sans oublier l'anachronique et entraînant " Funiculì funiculà ", Macha " connaît la musique " et nous le montre.

Il y avait du génie dans Molière, il y a de la persuasion géniale chez Macha Makaeïeff, on y croit, même si cela heurte notre sens commun.

Combien elle sait bien nous " vendre " ces belles phrases : " Je consens qu'une femme ait des clartés de tout, Mais je ne lui veux point la passion choquante de se rendre savante afin d'être savante. "(Clitandre - Les Femmes savantes, Acte 1, scène 3) et encore " Je me sens un étrange dépit du tort que l'on nous fait du côté de l'esprit, et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, de cette indigne classe où nous rangent les hommes. " (Philaminte - Les Femmes savantes, Acte 3, scène 2).

Une belle soirée, clôturée par un débat, sur la mezzanine, où Macha et ses complices nous livrent leurs secrets, leurs rêves, et la manière avec laquelle ils ont su les faire nôtres. Une amie, s'adresse à Geoffroy Rondeau, redevenu lui-même, et s'étonne " Mais cette belle chevelure si vraie, si naturelle, c'est une perruque ? " Preuve supplémentaire de la réelle osmose entre personnages et acteurs. Macha Makeïeff, accompagnée de Thomas Morris, explique la genèse de son projet, nous livre des anecdotes, justifie ses choix et nous délivre son message : un amour immodéré pour cette œuvre et ce qu'elle nous en donne à voir. Son choix de faire tenir certains rôles par des chanteurs, son goût pour la musique, dans sa bouche devient hommage à la langue de Molière et un habile moyen pour la servir.

Suite et fin pour un grand moment de Théâtre.

Merci au domaine d'O, au théâtre Jean-Claude Carrière qui, une fois de plus, marquent de leur empreinte le panorama culturel de Montpellier. De bons choix, de bons spectacles, un pas de plus vers l'excellence. Merci !

Biographies

Molière

Auteur contemporain (1922-1973), né sous le nom de Jean-Baptiste Poquelin, représentatif d'un théâtre " engagé ". Pointant les travers de l'époque, il sait mieux que quiconque faire rire tout en nous incitant à de sérieuses réflexions. Victime de jalousie et, aussi, de ceux qu'il moque et dénonce, il réussit, tout de même, à tenir le haut du pavé en tant qu'acteur, directeur de troupe et auteur. Sa mort prématurée, il n'avait que cinquante et un ans, nous prive d'un talent qui aurait pu, encore, le mener vers des sommets. Ses œuvres, véritable miroir de notre temps, stigmatisent nos défauts tout en les replaçant dans un contexte politique. Amuseur, mais pas uniquement, il a su depuis " Le médecin volant " jusqu'au " Malade imaginaire " développer une œuvre d'une grande richesse et dont la langue n'a rien à envier à nos plus grands écrivains.

(Vous aurez, bien sûr, remis les bonnes dates, 1622 et 1673, mais il était trop tentant, après le travail de Macha Makeïeff, de faire de Molière un auteur du XXe siècle !)

Macha Makeïeff

Auteur, metteur en scène, plasticienne et scénographe, Macha Makeïeff dirige La Criée, Théâtre national de Marseille depuis le 1er juillet 2011. Avec Jérôme Deschamps, elle a écrit et mis en scène plus de vingt spectacles de théâtre dans le cadre de leur compagnie " Deschamps et Makeïeff " et fonde en 2000 Les Films de mon Oncle, qui se consacre à la restauration et au rayonnement international de l'œuvre du cinéaste Jacques Tati. Dans les années 90, elle invente le style Deschiens qui fait les grandes heures de Canal + et marque fortement toute une génération.

Liens

Domaine d'O

http://www.domaine-do-34.eu/spectacles/tous-les-spectacles/trissotin-ou-les-femmes-savantes

Théâtre de la Criée

http://www.theatre-lacriee.com/programmation/spectacle/trissotin-ou-les-femmes-savantes.html

Vidéos

Purcell - One charming night - Andreas Scholl, Accademia Bizantina

Teaser

Intégrale (2h 19)