Chaque année, à l’occasion de la Saint-Valentin, les réfractaires à cette magnifique opération commerciale planétaire sont montrés du doigt. Parmi ceux-ci, on trouve nombre de pays musulmans, à commencer par l’Arabie saoudite. Dans ce pays en effet, non seulement les religieux y condamnent, pour ainsi dire rituellement, la « fête de l’amour » mais, depuis un certain nombre d’années déjà, la police des mœurs – plus exactement la « commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice » – s’emploie à en empêcher, autant que faire se peut, la célébration.
Pour l’interprétation wahhabite de l’islam, tellement rigoriste qu’elle répugne à célébrer l’anniversaire du prophète (mawlid) pourtant fêté partout dans le monde musulman, il va de soi que cette « sanctification de l’amour » ne peut être considérée que comme une innovation blâmable (bid’a). Le vrai musulman, fidèle à son « identité », se gardera par conséquent d’imiter cette coutume importée de l’étranger et, se gardant de tout associationnisme, consacrera ses dévotions au seul objet qui le mérite, Dieu bien entendu.
Comme l’humain est imparfait et qu’il faut constamment le remettre sur la « voie droite », la police des mœurs veille à ce que la piété des vrais fidèles ne soit pas dérangée par les errements des brebis égarées. Les équipes chargées du « pourchas du mal » ont ainsi pour mission de vérifier que les magasins n’offrent rien de répréhensible. Même si on en trouvait à foison quelques jours avant la date fatidique du 14 février, les roses rouges disparaissent subitement des étals, ainsi que les (horribles) ours en peluche écarlate, ou encore les cœurs en chocolat dégoulinant(s) de tendres sentiments.
Mais comme l’interdit a bien des attraits, chaque année également la bonne conduite subit quelques entorses, ne serait-ce que parce qu’il est difficile, y compris pour un commerçant pieux, de résister à l’appât du gain. Raréfiant l’offre, le zèle de la police des mœurs a pour résultat de faire monter les prix qui, selon des témoignages, peuvent être multipliés par deux, voire bien davantage. Comme il est par ailleurs assez facile de contourner la prohibition, en offrant la marchandise convoitée de façon discrète, ou tout simplement en passant commande par téléphone ou par internet et en se faisant livrer, la Saint-Valentin est par conséquent l’occasion d’un véritable festival d’hypocrisie, sans doute le culte le mieux célébré en Arabie saoudite par une bonne partie de la population !
Cependant, avec le développement d’internet et des réseaux sociaux, le décalage entre apparence et réalité devient de plus en plus manifeste. D’une certaine manière, on peut aller jusqu’à dire que le monde numérique rend visible les virtualités des relations sociales. Privés de la possibilité d’exprimer en public leurs sentiments (quoique, si l’on en croit l’image en haut de ce billet…), les zélateurs de l’amour trouvent leur revanche sur Twitter en multipliant, sans risque, les hashtags provocateurs du type yawm al-hubb (jour de l’amour : plus de 20 000 messages) ou Ma al-‘alâqa bayna al-dabâdîb wal-hubb ? (Quel est le rapport entre les oursons et l’amour : plus de 25 000) !…
Des appels à l’amour qui restent bien modestes à l’heure où les autorités saoudiennes semblent tellement désireuses de faire la guerre non seulement au Yémen mais si possible en Syrie également.