photo ©Mychele Daniau / AFP
Depuis une dizaine de jours, la réforme de l’orthographe alimente un feuilleton médiatique et populaire qui en dit long sur notre société, ses passions, ses contradictions, et ses oublis aussi. Si le sujet agite les conversations au café du coin ou sous les dorures des augustes coupoles, voilà que l’académicien Jean d’Ormesson retrouve de l’aigu dans la voix, parlant "d’enfumage". Les réseaux sociaux s’enflamment eux aussi et partagent avec une brûlante viralité le slogan suivant : "Je vais me faire un jeune", comprenez "un jeûne", prenant la défense d’un accent circonflexe, garant d'une certaine morale. Les applinautes de Facebook oublient toutefois que la réforme ne prévoit pas sa suppression, alors que l' anglo-saxon Twitter vole au secours d’un patrimoine national, que son style diffus a pourtant contribué à raccourcir. L’ancien surgit dans le moderne, et tout le monde y perd son latin.Méprises ?Qui en veut au trait d’union, au circonflexe, au "i" de l’oignon ou à l'orthographe de nénuphar ? Déjà vilipendée pour sa réforme du collège, Najat Vallaud-Belkacem est largement montrée du doigt. Pourtant, cette version allégée de l’orthographe n’est pas de son époque; Période durant laquelle l’actuelle ministre avait juste 13 ans quand le texte a été publié au Journal officiel (6 décembre 1990). Cette réforme, on la doit plutôt au Conseil supérieur de la langue française.Des allures de rempartsUn groupe de travail, présidé par Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel de l’Académie française, a proposé "non pas une réforme bouleversante" selon ses propres écrits, mais "des aménagements correspondant à l’évolution de l’usage". Le 3 mai 1990, "l’Académie, à l’unanimité, a approuvé les propositions du Conseil". Quelques mois plus tard, des voix divergentes sont venues fissurer l’élan réformateur commun, celles de Jean d’Ormesson, d’Alain Peyrefitte, de Félicien Marceau… Enterrée la réforme ? Bah non. Elle resurgit en 2008, sous Xavier Darcos, ministre de l’Éducation du gouvernement Fillon. Un bulletin officiel rappelle que "l’orthographe révisée est la référence". Pour la Rentrée scolaire 2016, le Conseil supérieur des programmes a, lui aussi, fait sienne cette révision. Pour autant, les deux orthographes demeurent justes.Se pencher sur les mots ou les maux ?Pourquoi un tel tollé vingt-six ans après la publication de la réforme ? Parce que notre monde a changé. Parce que le changement sied moins aux temps de doutes et de crises. Parce que si le futur est incertain, le passé s’habille de vertus rassurantes. On s’y réfère, on s’y protège même. Face à la baisse du niveau scolaire, aux attaques barbares de notre civilisation, la langue prend inévitablement des allures de remparts. Compliquée mais belle, alambiquée mais riche, elle est source d’appartenance et, ne l’oublions pas, de partage. Ne laissons pas sa défense aux seuls nationalistes qui, comme de la monnaie ou des frontières en font une arme d’exclusion. Si l’Académie française estime que l’heure n’est plus à réformer, qu’elle revienne sur un texte, qu’en son temps, elle jugea opportun. En attendant, concentrons-nous sur les maux un peu plus que sur les mots. Ce n’est pas en enlevant des circonflexes que l’on fera baisser le chômage ou les impôts. FG