Le groupe Bolloré poursuit en diffamation au sujet d'une enquête sur l'accaparement des terres dans des pays pauvres. L'audience a lieu cet après-midi, jeudi 11 février 2016. Le groupe Bolloré ne s'arrête pas là et poursuit aussi des médias et journalistes qui ont repris l'information de Basta Mag. Les médias citoyens se positionnent.
Au titre de la liberté de la presse, et parce que nous défendons haut et fort le droit et le devoir d'une pratique du journalisme au service de l'information de tous, le réseau MédiasCitoyens soutient sans réserve ses confrères de Basta Mag et les autres journalistes mis en cause. A propos de l'accaparement des terres, outre les excellents articles de Basta Mag, vous pouvez aussi retrouver sur notre site cet entretien avec Jean Ziegler à propos de son livre L'ordre Cannibale du Monde où le vice-président du Comité consultatif du Conseil des Droits de l'homme de l'ONU accuse les grandes sociétés mondiales d'être responsables de la faim qui tue un enfant toutes les cinq secondes. Les médias citoyens, solidaires, relaient très largement cette actualité qui les touche profondément. Vous pourrez notamment retrouver le récit du procès dans les colonnes du site Reporterre.
Thierry Borde, médias citoyens
Est-il encore permis d'informer sur les activités du groupe Bolloré
L'audience du procès en diffamation que le groupe Bolloré intente à Bastamag se déroulera le jeudi 11 février, à la 17 e chambre du tribunal de grande instance de Paris, à partir de 13 h. L'audience sera publique.
Le groupe Bolloré estime diffamatoire pas moins de huit paragraphes - ainsi que le titre et le surtitre - d'un article de synthèse publié par Bastamag en octobre 2012 et consacré à la question de l'accaparement des terres, ces appropriations de terres à grande échelle par des fonds d'investissements ou des multinationales, principalement en Afrique et en Asie.
S'appuyant sur des rapports des Nations unies et d'organisations internationales, cet article dressait un état des lieux du mouvement d'accaparement de terres en Afrique, en Amérique latine et en Asie, et des grandes entreprises françaises qui y sont impliquées. L'article mentionne ainsi les activités du groupe Bolloré, via une holding luxembourgeoise, la Socfin, dans lequel le groupe possède de fortes participations. La Socfin possède de multiples filiales qui gèrent des plantations d'hévéas et d'huile de palme en Afrique et en Asie.
En plus de trois journalistes de Bastamag (Nadia Djabali, Agnès Rousseaux, Ivan du Roy), de son directeur de publication de l'époque (Julien Lusson), cette plainte en diffamation vise également le site Rue 89 et son directeur de publication, Pierre Haski, pour avoir cité l'article dans sa revue de presse signalant "le meilleur du web", ainsi que la journaliste Dominique Martin Ferrari, qui a cité l'article dans son site "scoop it" (Options Futurs), et trois autres personnes ayant partagé l'article sur leurs blogs (Thierry Lamireau, Laurent Ménard et Guillaume Decugis).
Ce procès pose plusieurs questions importantes : L'accaparement des terres serait-il devenu un sujet impossible à évoquer sans risquer une longue procédure judiciaire? Informer sur les mises en cause de la Socfin, dont plusieurs entités du groupe Bolloré sont actionnaires, par des organisations internationales et des communautés locales serait-il tabou?
Plus généralement, est-il encore possible d'évoquer les activités du groupe Bolloré et leurs impacts sociaux et environnementaux? Le groupe Bolloré a déjà, par le passé, attaqué en justice plusieurs médias, dont France Inter suite à la diffusion d'un reportage sur ses activités au Cameroun. Ce procès contre Bastamag intervient dans un contexte où les pratiques de la Socfin au sein de plantations qu'elle possède, en particulier en Afrique de l'Ouest et en Asie du Sud-Est, sont toujours pointées du doigt par des organisations de la société civile. Des paysans cambodgiens ont d'ailleurs porté plainte en juillet contre le groupe Bolloré devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour violation des droits de l'homme et du droit de l'environnement. Au Sierra Leone, six leaders de communautés locales en conflit avec la filiale locale de la Socfin viennent d'être incarcérés.
Ce procès intervient également dans un contexte où il est toujours question d'instaurer un "secret des affaires" au niveau européen. Cette disposition, si elle entrait en vigueur, entraverait durement toute information critique à l'égard des grandes entreprises et nuirait gravement au nécessaire débat démocratique sur leurs activités.
Enfin, le fait que plusieurs personnes ou médias qui n'ont aucunement participé à la rédaction et à la publication de cet article soient mises en examen repose la question du statut juridique d'un lien hypertexte, d'une revue de presse ou du partage d'un article via un réseau social ou un agrégateur. Ce sont les fondements du fonctionnement du web qui sont ici remis en cause : les liens hypertextes et le partage de contenus en constituent la principale richesse.
Les pressions du groupe Bolloré à l'encontre de journalistes sont régulièrement au cœur de l'actualité. Le collectif Informer n'est pas un délit, qui regroupe une cinquantaine de journalistes ainsi que l'association Reporters sans frontières, s'interroge sur la censure et la déprogrammation de plusieurs documentaires qui devaient être diffusés récemment par la chaîne Canal+, dont Vincent Bolloré est devenu le principal actionnaire.
Nous rappelons également que Bastamag fait l'objet d' une seconde plainte en diffamation de la part du groupe Bolloré, pour un petit article évoquant en octobre 2014 une rencontre entre des représentants du groupe Bolloré et des délégués de communautés locales africaines et cambodgiennes en conflit avec la Socfin.
Extrait de Basta Mag