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[Critique] Ce sentiment de l’été

Par Régis Marton @LeBlurayphile
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Un film de : Mikhaël Hers

Avec : Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, Marie Rivière, Féodor Atkine, Dounia Sichov, Stéphanie Déhel, Lana Cooper, Thibault Vinçon, Laure Calamy, Timothé Vom Dorp, Jean-Pierre Kalfon, Marin Ireland, Josh Safdie, Mac DeMarco

Au milieu de l'été, Sasha, 30 ans, décède soudainement. Alors qu'ils se connaissent peu, son compagnon Lawrence et sa sœur Zoé se rapprochent. Ils partagent comme ils peuvent la peine et le poids de l'absence, entre Berlin, Paris et New York. Trois étés, trois villes, le temps de leur retour à la lumière, portés par le souvenir de celle qu'ils ont aimée.

Il est difficile de parler de Ce sentiment de l'été, tant l'émotion qu'il procure est fine et indéfinissable. Peut-être est-ce parce qu'il est agité par des forces contradictoires qui fusionnent et parviennent à faire advenir un sentiment rare au cinéma. Parmi ces forces, deux sont essentielles: celle de son sujet (le deuil et le chemin parcouru pour le traverser) et celle de l'approche de son auteur, soucieux de ne jamais plomber son film par une déprime complaisante. Au contraire, il choisit de prendre le contrepied de toute lourdeur démonstrative pour lui préférer une légèreté qui contrebalance le sérieux de son sujet. Ainsi, le film brille comme une petite pierre précieuse, resserré dans son traitement, compacte et humble mais exécuté avec une délicatesse inouïe. Il est de ces " petits films " (et le terme est élogieux) qui ne se laissent pas défaire par un discours esthète et préservent son feu sacré; parmi eux, mettons Mes petites amoureuses de Jean Eustache et certains films de Hong Sang-soo. Si l'on devait illustrer le geste de Mikhaël Hers, on penserait à celui d'un souffleur de verre qui, avec patience et sans affolement, finit par forger un objet dont la finesse de son architecture renferme un cœur ardant. Le film n'est pourtant pas exempt de grandeur, tant son récit est ambitieux: accompagner ses deux personnages principaux marqués par la perte d'un être cher au cours de trois étés dans trois villes différentes: Berlin, Paris et New York.

Là où le film émerveille tient à sa lumière, lui inspirant son beau titre, et illuminant le deuil et le manque par un air solaire et enveloppant, protégeant ses personnages de la noirceur du chagrin. Le film tombe à pic. Un mois après de merveilleux de Todd Haynes, il vient rappeler que le Super 16 mm peut donner certaines des plus belles choses que l'on puisse voir au cinéma. Cette lumière d'été, forte et contrastée, évoque ces moments chauds, en fin de journée, où tout est calme et que le soleil descend bas sur l'horizon. Elle donne au film sa douce énergie et le fait avancer pas à pas mais toujours en regardant droit devant. C'est pourquoi, Ce sentiment de l'été est tourné vers l'avenir et ne ressasse pas le passé. La marche est son mouvement naturel. A la fois lien direct avec le personnage disparu et mouvement défouloir des deux héros qui se dépensent en arpentant rues et jardins, seuls ou à deux. Ce n'est pas une marche funèbre mais une échappée en avant, dont l'allant résonne avec le déploiement temporel et géographique du récit.

La pudeur est une des grandes forces du film. Mikhaël Hers n'a pas son pareil pour construire ses plans, ses scènes et ses personnages dont la discrétion défait toute démonstration de maitrise. A l'image de ses deux acteurs fabuleux qui, dans leur sobriété digne et intime, parviennent à distiller un éventail d'émotions sans jamais tomber dans les effets de performance. Tous les affects se transmettent à mi-mots et tissent un réseau de partage secret entre les êtres. Leur souffrance, sourde mais intacte, devient un chantier en construction. Il faut l'apprivoiser pour bâtir sur elle. Il y a dans le film un jeu de poupées gigognes par lequel l'espace s'emboîte et se déploie du dedans vers le dehors et du dehors vers le dedans, imbriquant les uns dans les autres appartements, rues, parcs, villes, pays et années. De fait, chaque avancée convoque ce qui la précède, tant les situations résonnent entre elles que ce soit d'une ville à une autre ou d'une époque à une autre. Sans jamais regarder derrière, ni convoquer de nostalgie, le film n'abandonne jamais le souvenir de l'être disparu qui, par son absence, accompagne les personnages dans leur chemin personnel. Si elle est bien existentielle, leur errance est faite de petites choses. Évènements infimes, rencontres hasardeuses, le film est rythmé par d'imperceptibles revirements. Ainsi, il ne se termine pas comme on pourrait s'y attendre et révèle dans cette échappée un champ des possibles dont aucune hypothèse n'est à exclure. Libre aux personnages, comme aux spectateurs, de poursuivre cette belle déambulation comme ils l'entendent, libre à eux de mettre fin à leur histoire commune ou en reprendre le fil l'été suivant. Reste cette mélancolie revigorante, qui loin de nous stopper sur place, nous pousse en avant.

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