Comme plusieurs dizaines de milliers de personnes, j'ai signé la pétition pour une primaire à gauche. Bon. Mais il me faut avouer que ma signature était essentiellement motivée par l'idée de conjurer le cauchemar d'une "candidature naturelle" du locataire actuel de l'Elysée. Une signature J.P.F.C., "juste pour faire chier". "Pour ré-enchanter la gauche", tel est le slogan de cette pétition. Mais pour faire chier aussi, donc, les tenants de la continuité d'un pouvoir dont la seule ambition semble être de "gérer les affaires courantes" et de perpétuer un statu quo mortifère (voir post précédent).Maintenant, soyons lucides: l'élection primaire de 2011 visait à départager les "candidats à la candidature" du seul Parti Socialiste, c'est ce qu'elle a fait. On objectera que ladite primaire a éjecté Manuel Valls par la porte et qu'il est revenu par la fenêtre, mais à l'époque on ne l'imaginait pas, et c'est une autre histoire. Ici, il s'agirait de départager des candidats de partout ou de nulle part. Avec l'espoir de limiter la division des voix à gauche au premier tour pour avoir une chance d'éviter un remake de 2002 - Le Pen ou la droite, choisis ton camp, camarade. A priori ça paraît mal barré, Mélenchon ayant déjà annoncé sa volonté de se présenter quoiqu'il arrive tandis qu'on peut parier que les autres composantes de l'extrême-gauche voudront également "se compter", in fine. Mais encore une fois, de mon point de vue, si l'idée même d'une primaire enquiquine un Jean-Christophe Cambadélis, c'est déjà ça de pris.A droite aussi, on entend conjurer les divisions, et élection primaire il y aura en Novembre cette année. Pas moins de sept candidats aux dernières nouvelles, ça promet.
Des primaires, en veux-tu, en voilà. A priori on devrait se réjouir de ce vaste élan démocratique, de cette modernisation de la vie politique, tout ça.Sauf que d'abord n'eût été, montée du Front National oblige, la perspective de se voir dégager dès le premier tour de la présidentielle, les organisations politiques "normales" se seraient volontiers passées de cet exercice laborieux.Sauf qu'ensuite si on y regarde bien, il est assez difficile de décrire la chose de façon univoque: à gauche on entend d'abord départager des orientations, des idées, mais on se demande bien qui peut vraiment les incarner; à droite on entend départager des hommes et des femmes, mais on se demande bien, pour la plupart, quelles idées différentes ils(elles) peuvent bien porter.Sauf qu'enfin cet "élan" survient précisément à un moment où le désamour à l'égard des politiques atteint des sommets: il est plus que probable que la primaire à droite fera se déplacer nombre d'électeurs et, sous l'hypothèse qu'elle ait lieu, une primaire à gauche devrait également avoir un certain succès. De nombreux commentateurs nous diront alors "merci pour ce moment" de vie démocratique. Mais ce "moment" ne saurait être qu'un moment, justement. Et le cache-misère d'une réalité pathétique: l'obsolescence totale des appareils politiques hexagonaux - le Front National faisant encore exception, n'ayant pas exercé de pouvoir autre que de nuisance, à ce jour.Aux Etats-Unis, les choses sont claires: le champ politique est posé une fois pour toutes (Républicains contre Démocrates) et la seule question qui se pose est celle du (de la) candidat(e) de chaque bord. On se soucie peu, au fond, de savoir ce dont chacun des partis est intrinsèquement et clairement porteur - ce qu'en France on appelle la "ligne", le "programme". Et les électeurs (enfin, ceux qui restent, considérant des taux de participation aux alentours de 50%) vivent plutôt bien ce quasi-effacement des formations politiques en tant que productrices d'idées, ce rôle étant assuré par des "think tanks" ou des groupes d'intérêt divers.En France en revanche cohabitent d'une part l'illusion qu'à chaque courant de pensée doit correspondre un parti en ordre de marche, d'autre part le mythe de l'homme ou de la femme providentiels: or finalement c'est soit l'un, soit l'autre. Tant que l'électeur avait le sentiment qu'à une personne correspondait une "ligne"/une couleur politique (donc un parti) et vice-versa, cette contradiction était gérable. Mais, crise et chômage de masse aidant et, surtout, avec les palinodies successives du Sarkozysme et du Hollandisme, ce fragile équilibre a été rompu.L'organisation d'élections primaires dans ce contexte constitue donc au mieux la pose de pansements sur une jambe de bois, au pire elle revient à ajouter du bordel au bordel. Et ne constitue, en rien, une réhabilitation du politique. Ces primaires soulignent au contraire le fait que la scène politique hexagonale n'est plus qu'une scène, justement.
Pour autant, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain: en ces temps incertains et complexes, le politique et ceux et celles qui le portent sont plus que jamais nécessaires. Il y a juste, qu'en France, le cadre dans lequel ils opèrent - des formations politiques à vocation purement franco-française tandis que les vrais enjeux ont depuis longtemps dépassé les frontières - est en phase terminale.
Sinon, le monde globalisé du profit à tout prix d'une part, les partis populistes et xénophobes un peu partout d'autre part, vont bien, merci.
See you, guys.