Titre : Junker
Scénariste : Simon Spruyt
Dessinateur : Simon Spruyt
Parution : Février 2015
L’avantage d’aller en médiathèque, c’est que l’on prend des risques. Tombé par hasard sur le pavé énorme qu’est « Junker », j’ai tout de suite apprécié le graphisme. Sans même me soucier de l’auteur que je connaissais pas (Simon Spruyt) ou du sujet, je l’embarquais chez moi. Et ce fut certainement la meilleure décision de ma journée. Le tout est publié chez Cambourakis pour 169 pages.
Début du XXème siècle. En Prusse. Les Von Schlitt périclitent. La société évolue et la noblesse se meurt. Malgré tout, les deux fils sont destinés à servir dans la cavalerie, comme leurs aïeuls avant eux. Mais en ce nouveau siècle, la cavalerie a-t-elle un sens ? C’est une atmosphère de fin de règne (fin de race, pour être plus juste !) qui nous prend dès les premières pages. Alors que l’industrie domine le monde, les Von Schlitt restent ancrés dans un idéal de noblesse et de chevaliers teutoniques.
Un grand livre porté par une vraie vision d’auteur.
Cet ouvrage fait d’affronter deux frères aux tempéraments radicalement différents. Le frère aîné est dur, violent. Le second est rêveur et fragile. La lutte fratricide est au cœur de l’ouvrage. D’ailleurs, si on dévore les pages à toute vitesse, on ne sait pas vraiment où l’auteur veut nous mener. Et c’est une des grandes qualités du bouquin.
« Junker » est un ouvrage original, une vraie curiosité, et c’est ce qui en fait un grand livre. Les partis pris sont forts et assumés, l’histoire originale dans un contexte peu traités et le graphisme marquant. La notion d’œuvre d’art paraît évidente à la fermeture de la dernière page. L’auteur maîtrise parfaitement sa narration, tant dans les cases muettes, les actions, les textes… L’émotion et l’empathie fonctionnent à pleins tubes avant que l’on s’aperçoive que l’auteur joue avec son lecteur.
Graphiquement, l’auteur a un trait très beau, relativement simple, mais très efficace. Il est magnifié avec virtuosité par une colorisation tout en bleu. Après tout, l’ouvrage n’est-il pas sous-titré « Blues de Prusse », référence évidente au bleu de prusse ? Ce dessin s’enrichit de choix graphiques audacieux. Au-delà des représentations symboliques (le roi, les chevaliers teutons, etc.), l’auteur représente le « peuple » (en tout cas les personnages secondaires) par des visages façon smileys. Cette représentation puissante donne vraiment du sens à la vision de la noblesse de l’époque. Ainsi, la nourrice, pourtant du peuple, garde un véritable visage.
Impossible de trouver un seul défaut à ce « Junker ». Œuvre à la fois puissante et originale, elle est tout droit sortie d’une véritable vision d’artiste. On est bien loin d’ouvrages classiques, reprenant des codes et des ficelles connues. Simon Spruyt instille à tous les niveaux – narratifs et graphiques – des choix audacieux et pertinents. Un livre d’exception et profondément unique.