Poème pluriel, fait de tensions, authentique cri du cœur déployant ses cascadantes intensités et son art solennellement médité. La cavalière indemne caresse ses pertes comme ses seuils, les pauvretés qui affligent comme la reconnaissance qui ne cesse d’affleurer. Recherche de « plus que soi », le recueil hésite entre des immensités lumineuses et celles qui, ténébreuses, effraient. « Y aurait-il pour rien, demande le poème, tant de musique », question qui énergise un vaste et persistant vouloir et un urgent besoin d’épouser l’objet, spirituel, ontologique, qui plane à l’horizon du désir qu’incarne chacun des mots ainsi inscrits. Règne partout un sentiment d’insuffisance, de devoir inaccompli, que l’art de l’inscription de l’énergie vécue n’arrive pas à transmuer, le rêve persistant, irréalisé, d’une « épopée [allant] vers la chose qui habite la tête ». La protagoniste du drame poétique se trouve prise entre ces « deux miroirs » qu’invente ‘ »’ordinaire sujet », ses préférences consolatrices et la « peur de la parole nue ». Et, si « toutes les portes sont ouvertes », ontologiquement, et si des « offrandes » restent parfois palpables sur la scène psychique et spirituelle, convertir la finitude du doute en « infini » demeure toujours un défi que le cœur ne peut que rêver de relever.
La cavalière indemne permettrait ainsi à son auteure de pénétrer dans les « chambres secrètes » de sa psyché, avec leurs nombreuses « dépendances ». Rêvant inlassablement d’« acclimat[er] sans preuves les cris de joie qui couleront de source », la conscience au cœur du poème souffrirait du sentiment d’un manque d’amour face à ce qui l’invite. S’adresser au divin pour trouver ce que Rimbaud appelait le lieu et la formule ne résout pas la « question indécidable » qui à la fois aiguillonne et inspire, frustre et désole. L’impulsion qui pousse à « [s]e laisse[r] aller […] à baigner [le] visage dans l’or de l’évidence » est tout de suite bloquée par une impuissance et cette implacable peur qui guette. Assumer celle-ci dans un poème est pourtant un grand geste. Et l’Art poétique qui clôt le recueil, d’une grande beauté, en épouse pleinement l’émouvante et innocente authenticité.
Michaël Bishop
Gabrielle Althen. La cavalière indemne. Al Manar, 2015. 85 pages, 16 euros.