A la sortie du collège, un groupe d’élève trouble le calme d’une rue enneigée dans une bataille de boules de neige qui tourne au pugilat. Soudain, en recevant une boule en pleine poitrine, Paul s’effondre. Son ami Gérard s’empresse de dénoncer Dargelos, le caïd de la classe, qui aurait mis une pierre dans la boule de neige. Mais à peine relevé, Paul nie: impossible pour lui de dénoncer Dargelos pour qui il a une admiration sans borne. Il n’est donc pas ravi de devoir rester à la maison suite à sa blessure et de ne plus le voir. Le voici enfermé avec Elisabeth, sa grande soeur. Leur mère infirme étant à peine consciente, les deux enfants sont complètement livrés à eux-mêmes. Commence alors une étrange existence, cloîtrés dans une chambre qui tient autant de la Cour des Miracles que du débarras, sans aucune règle ni aucune limite, dans laquelle le frère et la soeur ne cessent de se provoquer, de se déchirer et de se rechercher, dans une relation fusionnelle, passionnelle et exclusive. Gérard ne s’éloigne jamais beaucoup, car à son admiration pour Paul succède un amour malheureux pour Elisabeth. Mais rien ne semble devoir séparer le frère et la soeur qui ne cessent de se détruire.
Cet étrange conte a de quoi déstabiliser. La langue ornée et onirique de Cocteau demande un temps d’adaptation. Le huis-clos qu’il décrit a tout pour créer le malaise. Les sentiments des personnages sont exacerbés à la limite du sublime, en ce sens qu’ils suscitent autant l’admiration que l’horreur. L’anarchie dans laquelle vivent les enfants oscille elle aussi entre l’absurde et le terrifiant: désordre, repas n’importe quand à base de n’importe quoi, provocation ouverte à ceux qui les entourent, bagarres, c’est à se demander comment Mariette, la petite bonne, parvient à ramasser derrière eux et à leur faire encore à manger sans claquer la porte. L’attente désespérante dans laquelle se tiennent Gérard ou Agathe, l’orpheline rattachée un peu plus tard au petit groupe et qui tombe amoureuse de Paul, est déchirante. Et pourtant j’ai été très intriguée par ce pouvoir qu’ont les deux enfants de se plonger dans un monde qui n’appartient qu’à eux, de faire d’une pièce qui ne ressemble à rien un véritable sanctuaire où le monde ne les atteint pas, où un trésor sacré est gardé, où leur union ne peut être troublée par quiconque convoitera le frère ou la soeur. Et même lorsque le monde extérieur les rattrape, sous la forme d’un adulte qui les emmène en vacances, ou d’un mari, le pouvoir du “trésor” semble inévitable.
La note de Mélu:
Un livre pour le moins déroutant.
Un mot sur l'auteur: Jean Cocteau (1889-1963) est un dramaturge, poète, écrivain et cinéaste français.
Le film: En 1950, Jean Cocteau adapte lui-même son roman, et confie la réalisation à Jean-Pierre Melville. Disons-le tout net: visionner un tel film en 2015 fait ressortir tous les défauts que l’on caricature volontiers aujourd’hui. Diction, jeu d’acteur, transitions entre les scènes et même place de la musique, tout semble monstrueusement kitsch et artificiel. Je crois que ce qui m’a le plus dérangé est la voix de Jean Cocteau lui-même comme narrateur et commentateur de l’histoire, créant une distanciation très forte, une immersion impossible, comme si les images échouaient à rendre ce que le texte voulait faire passer. On en fait un peu des tonnes et j’ai eu du mal.
Ce que j’ai regretté également, c’est que l’histoire se déroulant sur de nombreuses années, on y voit les protagonistes écoliers, puis jeunes adultes, puis mariés. Or, les acteurs ne changent pas, au cheveux près (Elisabeth par exemple ne change même pas de coiffure une seule fois dans le film) et là encore, on y croit assez peu. En revanche, les deux comédiens, à savoir Edouard Dermit (fils adoptif de Cocteau) et Nicole Stéphane sont arrogants à souhaits, et leur mélange de passion et d’insouciance qui frôle l’inconscience, dans leurs moues, leur dédain affiché, sont parfaitement réussis. Alter ego et miroir l’un de l’autre, ils cultivent leurs similitudes y compris visuellement de manière frappante.
Un film à l’esthétique très particulière, et qui a quand même vieilli.