"Sagan" de Diane Kurys: le beau nom grave de tristesse

Par Sandra.m

« Il est plus urgent de vivre que de compter » et « Je voudrais avoir dix ans, je voudrais ne pas être adulte. Voilà. » . Ces deux citations de Sagan et les premières lignes de « Bonjour Tristesse » (« Sur ce sentiment inconnu, dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse ») donnent le ton de ce que fut la vie de Françoise Sagan anciennement Quoirez ( elle  prit un pseudonyme à la demande de son père et en raison des éventuelles assimilations avec celui de l’héroïne de « Bonjour tristesse »). Entre désir effréné et capricieux de vie et solitude mélancolique et accablante de l’écrivain, entre les caprices du « charmant petit monstre », et « bleus à l’âme » de la femme à la vie tumultueuse, ce biopic mêle intelligemment les mots mélodiques de l’écrivain à son existence savamment dissonante et tourbillonnante, son ivresse de vivre, grisante puis destructrice, à celle d'écrire, la solitude dans la multitude.

Pitch:

En 1958, Françoise Sagan n'a pas 30 ans. Ses premiers romans l'ont rendue riche et célèbre. Elle mène une vie légère et tapageuse, entourée de sa bande d'amis : Chazot, Bernard Franck, Florence Malraux. Le 8 août de cette année-là, au casino de Deauville, elle mise ses derniers jetons sur le 8 et rafle la somme de 8 millions de francs avec laquelle, quelques heures plus tard, elle achète la maison qu'elle a louée pour l'été près d'Honfleur. Sans l'avoir prémédité, elle devient propriétaire et jure que personne, jamais, ne viendra la déloger de cet endroit. Pourquoi 40 ans plus tard, n'est-elle plus que l'invitée des lieux ? Quels événements la jeune prodige de la littérature a-t-elle traversé pour se retrouver ruinée et loin de tous ceux avec qui elle a brûlé ses années ?

« Sagan » devait initialement être un téléfilm pour France 2, et au regard de sa qualité Luc Besson a décidé d’en acquérir les droits pour Europacorp et de le sortir sur grand écran. Il est d’ailleurs amusant ( ?) de constater que ce téléfilm est de bien meilleure qualité que nombre de films sortis sur les écrans, que sa réalisation relativement effacée sied finalement bien au sujet, la vie de Sagan était en effet déjà suffisamment riche d’artifices (dans tous les sens du terme) pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en ajouter avec la caméra même si l’on peut trouver dommage qu’un film conformiste narre la vie d’une écrivaine, d’une femme qui l’était si peu.

 Le début, très elliptique, épouse pourtant son rythme de vie : une profusion de plans brefs reflète sa frénésie et son urgence de vivre, son goût pour les fêtes, la vitesse, l’alcool déjà. Elle dépensait en effet (usait et absusait de) tout sans compter: l'argent, notamment au jeu, l'alcool, la drogue, la vie même. Puis le (télé)film s’attache à un sujet essentiel : la solitude de l’écrivain, ses gouffres insolubles.  Les mots de l’écrivain en voix off et cette petite musique inimitable qui l’ont rendue célèbre bercent le film et nous envoûtent.

Passionnée et lâche, égoïste et généreuse, séductrice et introvertie, toutes les contradictions et les ambiguïtés de l’écrivain et de la femme Sagan imprévisible avec ses fêlures inhérentes, ses histoires amoureuses féminines et masculines, son goût immodéré et périlleux pour la vitesse, sa fragilité à fleur de peau…, bref toute sa vie est retracée à la lueur de cette solitude incurable qui la terrassera.

 Contrairement à l’image que certains pourraient avoir d’elle, Sagan n’était pas sinistre et le film ne l’est pas non plus (même s’il ne nous épargne pas ses démons entre cocaïne et morphine, alcool et jeu, avec ses dettes conséquentes sans non plus s’y appesantir), et est même émaillé de scènes burlesques touchantes notamment lorsqu’elle est avec Peggy Roche (Jean Balibar remarquable) avec qui elle formait un couple et ici un duo irrésistiblement drôle. L'humour n’a jamais porté aussi bien son nom de "politesse du désespoir" dont Sagan semble être l'incarnation.

Le premier grand atout du film ce sont donc ces mots qui chantent mélancoliquement, mélodieusement. Le second c’est évidemment Sylvie Testud qui ne joue pas mais EST Sagan. La ressemblance physique, gestuelle est confondante sans qu’un maquillage outrancier ait été nécessaire comme dans un film récent multi oscarisé, césarisé et dont vous savez (peut-être) ce que je pense.  Elle a adopté le phrasé si particulier de Sagan, enfantin puis « onomatopéesque » (cela faisait longtemps que je n’avais pas –ab-usé de néologismes-), son regard tour à tour boudeur, frondeur, évasif, dissimulé, sa mèche de cheveu triturée,  mais aussi sa démarche, apprenant la « langue » Sagan avec autant d’application que le Japonais pour « Stupeur et tremblements ».  Le troisième c’est cette "politesse du désespoir" qui donne au film ce ton hybride qui reflète probablement la personnalité complexe de l’écrivain. Le film n’est en effet jamais complaisant : ni son peu de goût pour la maternité ni ses lâchetés ne nous sont épargnés et c’ est ce qui nous la rend d’autant plus humaine, attachante.

Ces éléments en font un téléfilm d’une grande réussite et un "plutôt  bon film" qui reflète néanmoins une nouvelle fois la frilosité des chaînes de télévision qui investissent de plus en plus dans des biopics qui ne présentent donc aucun risque  s’assurant ainsi une part d’audience avec ces sujets « rassurants » par leur écho médiatique et la personnalité de ceux qu’ils mettent en scène qui susciteront forcément la curiosité du public.

Mais ne bondons pas notre plaisir car d’une part « il est plus urgent de vivre que de compter »… et, d’autre part, étant une inconditionnelle des livres de Sagan, ce (télé)film m’a donnée envie de relire encore et encore « Aimez-vous Brahms », « Chagrin de passage », « De guerre lasse », « Bonjour tristesse » et de découvrir ceux que je ne connais pas encore (les livres de Sagan ne sont pas forcément faciles à trouver, celle-ci étant morte ruinée, endettée, la réédition avait été bloquée)…

« Aimez-vous Brahms… » un titre avec ses points de suspension, en forme d’invitation poétique et sensuelle qui pourrait déjà résumer son œuvre à la fois contemporaine et intemporelle et qui, j’espère, donnera envie à ceux qui ne la connaissent pas encore de découvrir cette oeuvre, empreinte de liberté, de mélancolie, de cynisme, d’oisiveté,  de solitude ravageuse à l’image de la  vie intense et tumultueuse de son auteur.

Remarque : "Sagan" sera diffusé par France 2 dans 3 mois en format téléfilm de 3 heures. (la version filmique n’en dure que deux)

Sandra.M