Ici même peut être lu de façon autonome, mais il se situe dans la continuité des livres précédents. La première page est explicite sur ce point : les premiers vers « un jour / elle s’est pendue à un fil à linge bleu » renvoient à l’événement-catastrophe qui occupe tout Puisement (Tarabuste, 2010) ; les vers suivants, « nos yeux furent griffés / grillés / par un gel très fort » rappellent Très grand gel (L’improviste, 2011) ; et l’on trouve repris page 16 le poème qui clôt Jours encore après (Tarabuste, 2013). Ici même se présente donc comme dans la suite de ce dernier livre, et on retrouve effectivement le balancement du temps entre élan neuf et lest du passé, entre espoir et détresse, entre effort et usure, qui donne son poids d’humanité à la poésie de Checchetto.
Le livre est composé de seize séquences de longueur variable mais toutes constituées comme des suites de poèmes en vers libres assez longs, non ponctués, qui jouent sur un équilibre où le rythme du vers prime mais sans être loin du lié de la prose. Aucun désir de désarticuler la syntaxe, la parole poétique est plutôt ici de l’ordre de la voix basse ou du murmure. Et cela convient bien au caractère intime du cheminement ; on ne sait pas si l’ordre des poèmes est chronologique mais l’ensemble du livre, comme dans Jours encore après, donne l’impression d’un journal qui enregistrerait le sismographe de vivre, avec ses avancées et ses reculs, selon les jours ou les périodes. Le poète n’utilise pas le « je », mais toujours le « nous », le « on », ou des formulations impersonnelles. Sauf pour un seul poème, page 142, qui signe en quelque sorte la source intime et le vécu personnel pour tout le livre : « ma vie / permette que je fasse / un pas de côté / un point de côté // et que témoin de moi / je puisse retrouver ma bouche pensante / qui pour l’heure n’est à rien d’autre occupée / qu’à déjeuner en mécanique / des restes de ce qu’il reste ».
On voit bien ici la question qui traverse le livre, celle du deuil : comment vivre avec sans ? Le poète ne répond pas définitivement, il nous fait suivre le difficile travail du temps pour trouver un équilibre « ici même », chaque jour, entre ce qui ramène en arrière et ce qui malgré tout désire avancer encore. « voir devant oui / mais aussi voir / ce qu’il y a dans le coin des yeux / (…) marcher droit donc / mais sur les bas-côtés simultanément » (p.121). Les images, nombreuses, restent directes, très proches du sol, simples, et l’on ne sort guère du monde quotidien, celui de la maison, du jardin. Cette poésie est sans emphase, et c’est sans doute ce qui lui donne un caractère de proximité simple, même lorsque le poète exprime un désarroi profond : « maintenant / on ne sait plus très bien / soi / on recompte les arbres du jardin / cela au moins de sûr » (p.125). On retrouve cette même simplicité aux moments de rebond, d’élan : « tout est coi et de cœur serein / tout y sent la lessive du printemps // paysage comme un grand verre d’eau claire / ruisselle le long du jour qui point // paysage qui lentement se lève / (…) c’est alors le moment / d’alors encore vivre / où cela ne fait que vivre / là où les vies vives / vivent » (p.122).
C’est bien ce mouvement d’énergie vitale qui semble emporter la dernière séquence du livre : « finalement oui / grand oui » (p.151). Mais avec la conscience aussi de la fragilité de cette délivrance du « gel // qui aujourd’hui / ne bat pas nos yeux » (p.152). Fin heureuse, si on veut, et pourtant instable : cet aujourd’hui « n’empêche(ra) / que monte en force / le fond de notre histoire / qui contient l’orage pour un des demains / qui éclatera, tombera / là où et quand »(p.112). Dorénavant, c’est peut-être cela, vivre, justement.
Antoine Emaz
Rémi Checchetto, Ici même, Editions Tarabuste, 156 pages, 14 €