Le prix de la haine T 1

(Extraits: Le Prix de la Haine)

Ils arrivent bientôt au centre du cimetière, là où va se dérouler le rituel à proprement parler. Tous se mettent en rond de cercle autour du mystique qui entame un long soliloque, en aspergeant le sol alentour d'une étrange mixture aux relents de sang et d'autre chose indéfinissable. Le silence devient oppressant, parmi ces alignements de tombes qui rappellent une cité tombée dans l'oubli.

" Parce que le ciel a engendré la terre et parce que la terre engendre les hommes, que tous viennent d'elle, et retournent en son sein...

Parce que la vérité appartient aux devanciers qui la lèguent aux suivants...

Parce que le pouvoir demeure enfoui dans les entrailles du sol, et explose par le pouvoir du verbe...

Parce que la nuit précède l'aurore, et détient les secrets de sa conception...

Parce que soleil et lune décident du sort des humains...

Morts et vivants s'entrelacent sous le manteau de la lune..."

A cette dernière invocation, des phénomènes surnaturels s'enchaînent dans le calme oppressant. On perçoit des ricanements, des bruissements d'ailes de chauve-souris, des hululements de chouettes ou de hiboux.

Glacée d'horreur, Maître Nazia a l'impression que les pierres tombales s'ouvrent et déversent dans le monde des humains, le flot des morts auparavant enfouis dans le ventre de la terre. Il y a une sorte de fébrilité ambiante. Des souffles froids lui parcourent l'échine, s'insurgent dans sa tunique qui claque au vent. Le visage blême, elle semble sur le point de s'évanouir.

Autour d'elle, ses compagnons rigides ont l'air pétrifiés dans la fraîcheur de cette nuit de pleine lune. Le mystique entré en transe, psalmodie des choses incompréhensibles. Tout à coup, sa tunique écarlate s'illumine. Les pierres précieuses luisent de tout leur éclat. Les forces occultes deviennent visibles dans la clarté lunaire.

Il semble y avoir une extrême tension, puis apparaît soudainement une espèce de monstre à mi-chemin entre le cyclope et le centaure. De son œil unique, il fixe les membres de la petite assemblée qui se prosternent la face contre le sol. Un dialogue baragouiné s'instaure entre lui et le mystique, tandis que les autres à genoux glissent dans une sorte de torpeur. Au bout d'interminables minutes de cet effroyable suspens, le mystique recouvre pleinement ses esprits. Obéissant sans doute à une dernière injonction de ses mentors, il empoigne Nina Nazia à demi-inconsciente et l'entraîne délicatement sur une tombe en retrait.

(...)

Le regard incrédule, la victime se vide de son sang, avant de retomber mollement sur le côté. Son assassin la maintient fermement, jusqu'au dernier souffle. Dans ses yeux, il n'y a pas la moindre émotion, sinon un éclat métallique, dû à une forte poussée d'adrénaline. Habituée à tuer, elle frappe toujours ses victimes, avec le silence et la rapidité du cobra. Leur mission accomplie, les tueuses à gages passent le minuscule appartement au peigne fin, effaçant de même leurs empreintes, avant de quitter les lieux. Elles ont trouvé et fourré dans leurs affaires, une énorme enveloppe matelassée contenant des documents et des photos.

Au passage, la fausse femme enceinte hésite et finit par lâcher une paire de minuscules pompons de teinte immaculée. Sa complice réprime un fou-rire, anticipant déjà la suite des événements, sur ce terrain neutre. Elles quittent l'appartement le plus naturellement du monde, le regard brillant comme des vendeuses qui viennent de réaliser une bonne affaire. Un taxi qui vient de stationner à tout hasard les entraîne loin de la scène du crime. Le soir tombe, et il y a fort à parier qu'on ne découvrira le cadavre que le lendemain...

© La Cloche-d'Or éditeur 2015

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