[Critique] Creed : L’héritage de Rocky

Par Régis Marton @LeBlurayphile

Titre original : Creed

Un film de : Ryan Coogler

Avec : Michael B. Jordan, Sylvester Stallone, Tessa Thompson, Phylicia Rashad, Wood Harris, Tony Bellew, Graham McTavish, Ritchie Coster

Adonis Johnson n'a jamais connu son père, le célèbre champion du monde poids lourd Apollo Creed décédé avant sa naissance. Pourtant, il a la boxe dans le sang et décide d'être entraîné par le meilleur de sa catégorie. À Philadelphie, il retrouve la trace de Rocky Balboa, que son père avait affronté autrefois, et lui demande de devenir son entraîneur. D'abord réticent, l'ancien champion décèle une force inébranlable chez Adonis et finit par accepter...

Septième film de la saga Rocky, témoigne de la volonté des studios américains de recycler les vieux mythes des années 1970, précisément ceux auxquels ils ne croyaient pas avant leurs triomphes respectifs. Ainsi, en ce début d'année, succède à Mad Max: Fury Road et Star Wars: Le Réveil de la Force. Contrairement au premier qui transcendait véritablement son projet et parvenait, par son ambition, à gagner son indépendance vis-à-vis des précédents opus de la série de Miller, ressemble d'avantage au film d'Abrams: un film pieux, très correct (tant esthétiquement que politiquement), trop admiratif de l'héritage qui lui incombe pour en faire un projet personnel. Ce n'est peut-être pas un hasard si le seul de ces trois films qui soit une réussite totale, dont on peut dire qu'il est un grand film, soit celui de George Miller. Il est le metteur en scène de la mythologie qu'il a lui-même créée. À l'inverse J.J. Abrams et Ryan Coogler sont vraisemblablement des fans de l'univers que les studios leur confient. Ils doivent donc s'y tenir et ne pas faire de vagues. porte la marque de ce consensus. En même temps, il fait preuve d'une belle vitalité et se démarque en régénérant une série qui n'en finissait pas de reproduire les mêmes motifs. De fait, il n'a plus grand chose à voir avec le des origines, il lorgne davantage du côté de Million Dollar Baby, en orchestrant un passage de relais entre deux générations et, on le sent bien, d'une saga à une autre, dont des suites sont à prévoir.

Adonis Johson, fils du grand boxeur Apollo Creed, est recueilli enfant par la femme de son défunt père. Devenu adulte, il ne supporte plus la vie rangée qu'il mène et entend bien marcher sur ses traces. Il se lance dans la boxe, abandonne la finance et part à Philadelphie à la recherche d'un coach. C'est là qu'il rencontre Rocky Balboa, ancien rival de Creed, désormais loin des rings. Le film reprend la trame classique de l'ascension sociale d'un américain qui, à force de volonté et de persévérance, parvient à se faire un nom et devenir un citoyen à part entière. Une variation cependant, celle de partir d'un personnage qui a tout dès le départ. Adonis travaille dans la finance, élevé par sa mère d'adoption, vivant sur la fortune de son défunt mari. Le film induit habilement la nécessité de partir d'en bas et monter les échelons (ceux de la société) pour faire sa place dans le milieu de la boxe. De fait, le petit garçon noir, violent et indiscipliné, va devoir, une fois devenu adulte, faire l'apprentissage des vraies valeurs, enseignées forcément par un blanc américain vieillissant qui, lui, a vécu. Balboa lui enseigne donc calme et raison par un apprentissage à l'ancienne (courir après des poules) afin d'en faire un champion-modèle comme les autres. Malgré sa volonté de rafraîchir la série, Creed continue à glorifier l'ancien, les vieilles méthodes, l'apprentissage de la vie à la dure. Une scène confronte Adonis à l'un de ses adversaires qui, lors d'une conférence de presse, lui lance qu'il est indigne du nom de son père, qu'il est un privilégié, alors que lui vient d'une couche sociale plus pauvre, né d'un père anonyme et de condition modeste. À trop vouloir donner des leçons, le film se montre maladroit dans sa démonstration. Les plans de la chambre vétuste où vit Adonis sont trop appuyés et laissent passer une idéologie de la revanche trop insistante.

Malgré tout, le film trace en filigrane l'évolution du monde de la boxe. C'est sans doute sous cet angle que réside son véritable intérêt. Les matches de boxe et leur représentation n'ont plus grand chose à voir avec ceux du premier . La publicité, le commerce du sport et la sacralisation faite autour de l'image des champions ont tout envahi. Les incrustations du palmarès des boxeurs dans l'image, ridicules mais intéressantes, lors de leur altercation avec Adonis montrent bien le changement de dimension qu'a connu ce sport. Les adversaires qu'affronte Adonis ne sont pas tant des individus que des pedigrees mouvants. De fait, quelque soit l'issue du film (au fond, peu importe qu'il gagne ou qu'il perde), Adonis est voué à l'échec. Il ne peut acquérir la stature de son père. Si ce dernier était parvenu à construire sa propre mythologie par son humanité-même, son fils est condamné à exister uniquement par écran interposé. Il devient une marque, un simulacre, tandis que Balboa, survivant de l'ancien monde, a préservé une forme d'indépendance. Il n'a donc plus qu'à passer le relais. Ce brusquement changement d'échelle que le film donne à voir sur la boxe anglaise en dit aussi beaucoup sur le cinéma hollywoodien d'aujourd'hui: prendre des petits films indépendants, miser dessus, et les transformer en franchises de plus en plus chères et boursouflées, quitte à les épuiser. Mais s'en sort avec les honneurs et procure à la série une cure de jouvence qui va peut-être lui permettre de se renouveler véritablement. Le film est comme son héros; sans grand charisme, mais en proie à des bouffées d'adrénaline plutôt jouissives. Un film réussi sans conteste, mais que l'on oublie aussi sec.

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