Produire pour créer des réalisations à la chaîne a fini par être un procédé rodé des studios MARVEL. Pour les lecteurs des aventures de Deadpool en comics, personnage digne d’une vanne à soupape du puritanisme des maisons d’édition Marvel, c’était un modèle inconcevable. Dans un concentré de 107 minutes après montage, Deadpool Le Film se devait de réunir le grand public tout en respectant les passionnés sous peine de trahir la personnalité d’un franc-tireur de la bande-dessinée américaine. Un pari réussi où Ryan Reynolds, l’homme dans le costume, est porté en grâce par le moyen d’un film taillé sur-mesure. L’adage hitchockien veut qu’un bon scénario tienne par une tension maintenue dans les mains des vilains est toujours de rigueur et entraîne Deadpool dans des trous d’airs regrettables. Roi d’un vocabulaire grossier imagé, incontestable dans ses pitreries, le surhumain manquerait presque d’air dans des passages plus conventionnels dommageables.
« Qui veut la peau de Deadpool ? »
L’humour plaît ou ne plaît pas : il n’y a aucune demi-mesure avec le surhumain Deadpool … On ne peut pas vraiment lui en tenir rigueur : le personnage original est ainsi.
Deadpool Le Film mâtine l’intrigue d’aventures grasses à consulter dans des mensuels illustrés ou des tomes consacrés à sa personnalité tout en reposant sur un humour de cour de récréation où l’urine se mêle sans problème à l’exagération d’un sang façon ketchup. Tout critique sera écartelé entre le plaisir d’une adaptation fidèle et une saynète d’1h40, un prétexte simple à des blagues gonflées aux lipides et des mésaventures inhabituelles rendues banales par Deadpool. Avec le logo « Déconseillé aux moins de 12 ans », Deadpool Le Film s’exposait possiblement à un compromis à propos du langage qui structure toute la cohérence du personnage. Le résultat est quasi sans concession(s) en tenant compte des deux types de spectateurs précités : dès l’introduction, l’irrévérence est gravée sur pellicule (« Le réalisateur trop payé » est précédé au générique du « Caméo prévisible » pour désigner Stan Lee …) sans tomber dans la facilité d’un récit linéaire. (Par des astuces, la naissance de Deadpool est traitée comme une parenthèse dans une scène d’action.)
Ni super-héros, ni super-vilain, Deadpool est une synthèse bien retranscrite entre la noirceur des maisons DC Comics et l’angélisme des éditions Marvel.
Véritable dictionnaire de la grossièreté à lui seul, Deadpool est transposé à l’écran dans son état le plus brut : les tutoiements au spectateur se complètent par une double personnalité suggérée. (« Pas bien, Deadpool ! » suivi d’un « Bien, Deadpool ! », jeux discrets sur les voix …) L’appréciation de Deadpool, un caractère dont le film se nourrit à 90%, ne tient qu’à une lubricité et à un humour noir : un tandem en fausse roue libre (La raison d’une limite « Moins de 12 ans ».) foncièrement diviseur pour un public non habitué.
« Préliminaires accomplies ! » pourrait résumer l’adaptation d’un esprit adolescent dans un costume moulant. Si Marvel Studios peut rajouter une ligne à ses expériences réussies grâce à Deadpool : Le Film, les choses se gâtent lorsque l’on s’intéresse de près au contenu et aux annexes qui déclassent la réalisation en « bon film« .
« Cachez ce vilain que je ne saurais voir ! »
Si l’on s’amuse à compter les différents décors … Le budget de Deadpool n’est pas consacré à cela. Cette particularité concorde avec l’idée d’une comédie à grosses ficelles, où un personnage éblouit momentanément par son incongruité.
Il n’est pas dans les habitudes de Deadpool d’officier dans des histoires complexes. Professionnellement, les récits routiniers de Deadpool finissent bien ensanglantés, en ayant le dernier mot, pour mieux convenir au teint rouge et noir du bonhomme. Aucun rehaut, aucun espoir n’est apporté par un duo principal paritaire, deux vilains d’occasion au regard méchant et aux pouvoirs extraordinaires. Pétris de paroles vides, Deadpool gagne haut la main le duel du charisme : même s’il s’agit du but affiché, tout spectateur était en mesure d’attendre plus de la part du caricatural et machiavélique Francis. (Oui … Il n’y a aucune erreur sur l’identité du personnage à affronter.)
L’idée était excellente à l’écran. Wade Wilson (Vrai nom de Deadpool) et Vanessa partagent de tendres moments souvent décalés. Dont celui-ci, simple mais bien trouvé !
Bien-sûr, tout cela est volontaire. Bien-sûr, il y a là un rempart plutôt maladroit pour cacher un sérieux manque d’efforts. Leur présence pataude et leur existence seule se concentre autour de Deadpool : dès lors, leur seule issue sera le kidnapping, notre soupir de soulagement sera leur disparition de l’écran. A la fin des fins, l’impact de ces deux coquilles vides levées du pied gauche pèse sur l’échelle du film avec une certaine gêne : tout ce boucan pour ça ? La perfection morale de Marvel rogne les angles de la carte blanche de ce cher Deadpool : en conséquence de quoi l’amour triomphe de toutes les différences, avoir des super-pouvoirs permet de rejoindre un club fermé d’amis prêts à risquer jusque leurs vies … pour affronter le Mal.
Deadpool sacrifie une façade quasi malsaine du code héroïque prôné par le club fermé des héros comics. Deadpool : Le Film étincelle sagement pour éviter la censure … Tim Miller, réalisateur du film, a souhaité donner une autre impulsion à certaines conventions. Sur ce point, l’analyse révèle un second sens finalement passionnant et capable de s’additionner au cahier des charges de la personnalité de Deadpool.
Analyse psychanalytique de Ryan Reynolds.
« on casse les codes! » Une promesse plutôt réussie dans l’ensemble pour façonner un film Marvel différent.
Outre le bon divertissement technique et humoristique de Deadpool, le long-métrage ouvre des perspectives plus intéressantes : le costume rouge et noir devient une tribune pour l’acteur Ryan Reynolds et non un jeu codé par le costume. Des films dédiés à des vedettes du cinéma se comptent chaque année sur les doigts d’une main (The Wrestler pour Mickey Rourke, Birdman pour Michael Keaton sont les plus récents à citer …) Deadpool : Le Film doit être l’un des premiers pour la maison Marvel. (A sa manière, Iron-Man 1 consacrait le retour de Robert Downey Jr. au cinéma.) Avec Deadpool, Ryan Reynolds crache son venin sur le film Green Lantern (2011), responsable désigné à sa chute Hollywoodienne. Mot pour mot, les digressions revanchardes ne manquent pas : « Pas un costume vert ni en image de synthèse ! » criera Wade Wilson avant de renaître en Deadpool.
Sans excès, Deadpool contient l’action pour des saillies verbales … Qui passent ou qui cassent sur leur simple énonciation.
Le Quatrième Mur, frontière formelle entre un spectateur/lecteur et le figurant, explose conformément au personnage et cerne le « Je » de Ryan Reynolds. « Canada! » sort aussi naturellement que le « Adrian ! » de Sylvester Stallone dans Rocky. « Comment a réussi Ryan Reynolds a réussi à ton avis ? » (*Coup d’oeil à un magazine type Tout sur les people dans le film*) , une référence toute trouvée à l’élection de l’acteur en tant qu’ « Homme sexy de l’année 2011 ». La métaphore filée d’une renaissance dans un premier rôle se double de décors dépouillés et d’une certaine sagesse des studios Marvel : en quelques acrobaties doublées, avec peu d’acteurs, un nombre ramassé de lieux, Tim Miller, réalisateur du film Deadpool prouve qu’être surnaturel au cinéma peut être aussi une reconquête de sa propre réputation …
On a aimé :
+ Fidèle au comics.
+ Réalisation nette.
+ L’humour grossier respecté. (Et qui finalise la séduction ou non au film.)
+ La fin du Quatrième Mur employée avec des perspectives. (La vie d’acteur de Ryan Reynolds, les tacles qui concernent les autres personnages Marvel …)
On a détesté :
– Des vilains ridicules.
– Le puritanisme de Marvel.