C’est au petit matin, quand les dernières images du rêve persistent encore mais qu’on ne peut plus les fixer, c’est à ce moment, « dans la journée naissante », que j’ai lu et relu, jour après jour, le recueil de Christiane Veschambre, Quelque chose approche. Les couleurs ne sont pas encore tout-à-fait nettes, le soleil n’a pas encore percé. Percera-t-il cette mélancolie qui va de page en page, parfois surprise par une apparition, un rendez-vous, une épaule où poser la joue ? Une corneille, comme dans Versailles-Chantiers, « traverse le ciel ». « Quelque chose approche, quelque chose seul ». Un autre titre s’impose à moi en surimpression : Quelque chose noir, de Jacques Roubaud. La mort, l’exil, l’ « amour vaste bête ». Une respiration rendue difficile par « un caillot / en travers du larynx ». Contre la disparition, faire les gestes du quotidien : « je plie du linge / je change les draps du lit / j’épluche la salade… » Un enfant pleure dans la nuit. Plus loin le chemin vers « la clairière au livre ouvert », scellé, cinquante ans après. Près de la liseuse qui se souvient, il y a la présence d’un liseur. Peut-être aussi, enfoui, le souvenir d’un autre chemin vers le pique-nique avec Robert et Joséphine. Les verbes conjugués ensuite sont au conditionnel.
Et je retiens ces vers, remontant quelques pages : « Malheur mon puits / Gaîté ma soif / mon dé / minuscule / en bout de chaîne ».