« Mainstream », ce gros mot.
Souvent critiqué, snobé, bashé, dénigré, déploré, houspillé, décrié, rejeté, blâmé, désapprouvé, réprouvé, diffamé, évacué, damné, satané, excommunié, affligé, tourmenté, mortifié – mais jamais dépassé – le mainstream est une composante à part entière de notre société, et ce, qu’on le veuille ou non. Mais au fond, qu’est-ce que le mainstream ? Un vague anglicisme qualifiant tout ce qui a trait à la culture populaire ? Une marque à part entière de l’impérialisme américain ? Une forme de dépravation de la culture avec un grand « C » ?
Un peu de tout ça, mais pas que ! Car ce terme revient de loin. Des années 1950 pour être exact, où il servait à qualifier un courant du jazz qui constituait une forme d’entre deux, entre boppers et musiciens adeptes du style néo-orléanais. A priori rien à voir avec la définition actuelle qui fait du mainstream l’apanage d’une pop culture aseptisée. Mais là aussi, on retrouve certaines ramifications historiques ayant trait à la pop américaine fabriquée à Détroit, au sein du prestigieux label Motown. La pop, comme le mainstream, reste donc extrêmement difficile à circonstancier puisqu’il ne s’agit pas d’un pan de l’Histoire à proprement parler, mais bien d’un courant musical qui se réinvente sans cesse.
Et on commence notre immersion en douceur avec un titre de Duke Ellington :
Le retour de l’oncle Sam
Le mainstream résulterait d’une forme d’imprégnation de la culture américaine – et ce partout dans le monde – via différents canaux, dont la musique fait bien évidemment partie intégrante. L’influence américaine est pourtant à relativiser dans ce domaine puisqu’aujourd’hui sur les quatre majors qui se partagent 70% de l’industrie du disque, une seule seulement est américaine (Warner Music Group). Il faut, de plus, arrêter de voir le passage de l’underground au mainstream comme quelque chose de subi par les artistes. Car, après tout, qui a envie de rester dans l’ombre et de ne bouffer que des pâtes toute sa vie afin de ne pas trahir ses convictions ? Quantité et qualité sont-ils si différents l’un de l’autre ? A l’heure de la diffusion de masse des pseudo bad boys et autre performeuse en carton, on peut légitimement se poser la question.
Coupable d’une forme d’appauvrissement de l’univers musical, le mainstream est aujourd’hui un véritable repoussoir pour certains puristes allergiques à tout ce qui est commercial. Car le mainstream se définit avant tout par ce qu’il n’est pas, bien plus que par ce qu’il est. A savoir tout sauf une sous ou sub-culture s’adressant exclusivement à certaines parties de la population. Certains vont d’ailleurs jusqu’à dire qu’il est l’inverse de l’art. Même si, en réalité, tout est affaire de perception et surtout – dixit Bourdieu, le king de la sociologie – de la position sociale qu’occupe l’individu au sein de la société. Et s’il existe de réelles différences, bien perceptibles pour le coup, entre les albums de Coldplay et de Foxygen, ou encore entre Black M et Jazzy Bazz, qu’en est-il des Arcade Fire, Breakbot et autres Beirut ?
Réfléchissez à cela en musique, avec un titre des Arcade Fire :
Une lutte planétaire
Car le mainstream défie les codes et pioche dans chaque culture afin de créer une forme de gloubi-boulga hétérogène – et hétéroclite – susceptible de plaire au plus grand nombre. Sa frontière change constamment, oscillant entre ce qui n’est pas mainstream, ce qui l’est et surtout ce qui le deviendra. Pourquoi ? Parce que, selon Frédéric Martel qui y a consacré un ouvrage entier, il est le fruit d’une culture globalisée obtenue via l’intensification des flux dans le cadre de la mondialisation. On peut donc le voir comme une forme de « soft power » dont le but serait de prendre le contrôle de l’information, de la culture et des contenus numériques. Mais il est tout sauf uniforme. La mondialisation a, de manière extrêmement paradoxale, permis l’intensification des flux d’information et de culture régionaux mais aussi transnationaux. Il y a donc non pas un, mais bien plusieurS typeS de mainstreamS.
Mais relativisons. L’utilisation de ce terme ne concerne que certains milieux « arty » des métropoles occidentales. Ce qu’il cache ? Le modèle économique capitaliste auquel personne semble n’avoir – ou ne vouloir – trouver d’alternative. Sa plus forte attention à la réception du public masque en réalité un dispositif technique destiné à une chose et une seule, vendre. On retrouve notamment une très forte compression du signal sonore qui permet ainsi à l’auditeur, lorsqu’il écoute la radio, d’avoir la sensation que la musique jouée est plus forte. La notion de « matraquage musical » lui est d’ailleurs souvent associé. Elle tient d’une part au volume perçu, mais aussi au fait que les grands médias (notamment radiophoniques) s’évertuent à passer – et ce de manière répétée – des « hits » qui ont fait leur preuve, laissant très peu de place aux nouveaux talents.
Un concept ambigu
Le mainstream serait ainsi symptomatique d’une forme de nivellement généralisé vers le bas. Parce que si les années 1960 ont vu émerger les Beatles, les années 1980 Michael Jackson, et les années 1990 Nirvana, disons que l’entrée dans le vingt et unième siècle est, disons, plus mitigée. En France ? Entre Lorie, la version édulcorée de Britney Spears, puis les multiples comédies musicales (Le Roi Soleil and cie), sans compter les « artistes TF1 » (catégorie qui englobe en fait une très grande partie du top des charts français, et qui mériterait un article a elle toute seule – ou pas), il y a tout de même de quoi se tirer une balle non ? Bah non, en fait, parce qu’entre temps on a quand même eu les Rita Mitsouko, IAM, les Daft Punk – et j’en passe. Comme quoi popularité ne rime pas toujours avec médiocrité. Il ne s’agit pas de distinguer une « bonne » et une « mauvaise » culture. Des formes de cultures légitimes, et d’autres qui le seraient moins. Mais bien d’arriver à cerner le concept de mainstream, qui est avant toute chose un produit de notre culture mondialisée.
Et quoi de mieux qu’un titre de Britney Spears pour montrer tout cela ?
Face au mainstream, quelle attitude adopter ? Sans tomber pour autant dans le relativisme absolu, il nous faut nous montrer plus compréhensif – si ce n’est ouverts – aux productions qu’il engendre. Toute production artistique, quelle qu’elle soit, ne mérite-t-elle pas qu’on s’y intéresse ? A l’instar du rappeur US, Kanye West, qui surfe sur la vague mainstream tout en proposant des créations détonnantes basées à la fois sur des expérimentations mais aussi et sur une forme de jeu avec les normes, soyons moins catégoriques. Le mainstream est finalement loin de n’être QUE ce cheval de Troie de l’industrie musicale que critiquent ses détracteurs. Loin d’occulter la scène underground, il s’en nourrit et propulse même certains groupes sur le devant de la scène. Symptomatique de notre société de consommation, il est aussi un fabuleux tremplin. En remettant sans cesse en question les limites entre culture populaire, légitime et underground, il pousse à l’innovation. Plus qu’une simple question de goût ou de dégoût, le mainstream est avant toute chose le fruit d’une culture mondialisé, charriant avec lui des enjeux et des acteurs culturels puissants.
Et si vous n’êtes toujours pas convaincu, n’oubliez pas que ce que nous écoutons paraîtra toujours mainstream aux oreilles de quelqu’un d’autre.
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Lea
Léa Esmery, parisienne depuis 1 an, étudiante en Info Com dans le but d'avoir un Bac+25 et de finir au chômage, rédactrice pôle rock/indé.Mon cocktail préféré :
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