La première moitié des années 50 offrait tout un lot d'artiste, dans le monde de la musique, qui pouvait faire croiser la musique dite populaire avec le country si cher à l'Amérique. Guy Mitchell pouvait séduire à la fois les New Yorkais et les fermiers du Sud.
Jo Stafford, Bing Crosby, Al Jolson, Dean Martin, Eddy Arnold, Frank Sinatra étaient alors les héros de la radio.
Tous blancs comme un pain au lait.
Et pourtant le rythme a toujours été noir voire africain.
Le succès de Billy Eckstine, Nat King Cole ou de Louis Jordan, mais surtout l'immense popularité du jazz et du rythm'n blues, alors majoritairement composé d'artistes noirs et de Chuck Berry, fait saliver les producteurs de disques.
Sam Phillips était alors chasseur de talent, mais surtout propriétaire de la compagnie de disques Sun Records. Il se cherchait un chanteur blanc en mesure de "chanter noir". Un chanteur qui à lui seul, saurait se faire rencontrer tous les publics et lui faire faire dans le processus, beaucoup de sous. Un chanteur qui soit à la fois country, blues, pop et crooner. Et qui rejoigne définitivement le public adulte.
En août 1953, un jeune garçon de 17 ans de Memphis paie du temps de studio afin d'y enregistrer une acétate qu'il compte offrir à sa mère chérie comme cadeau. La secrétaire de chez Sun Records lui demande quel est son style. Le jeune garçon répond: "personne n'a m'on style". Sam Phillips entend la chanson et prend note: "Bon chanteur de ballade: à suivre".
Le jeune homme sera conducteur de camion pour la Crown Electric Company. Il gratte toujours la guitare toutefois.
Phillips le rappelle l'année suivante et le fait entrer en studio avec deux musiciens locaux: Winfield "Scotty" Moore à la guitare et Bill Black à la basse. Le jeune homme a aussi apporté sa propre guitare dont il aime bien chatouiller les cordes. Le but est d'enregistrer ensemble un morceau mais on y travaille toute la journée et rien de valable ou de concluant n'en sort.
Tard, alors que tout le monde songe à quitter, le jeune homme accroche sa guitare et commence une interprétation toute personnelle d'un vieux morceau d'Arthur Crudup en sautant tout partout et en faisant le pitre. Black prend sa basse et embarque dans le manège en faisant le singe lui aussi. On libère toute la tension du jour. Scotty Moore prend sa guitare et le trio s'amuse.
Phillips, qui avait laissé la porte du studio ouverte, y plante sa tête et dit d'un air ahuri:
"Mais qu'est-ce que vous faites?"
Moore lui répond: "Je ne sais pas, on suit le rythme..."
Phillips leur dit: "Trouvez vous une place en studio et refaites-moi ça, j'enregistre!"
Phillips a trouvé le son qu'il recherchait. Un DJ fait jouer le morceau dans la semaine qui suit et les appels se multiplient à la station pour savoir qui est "ce noir" qui chante. Bingo!. On précipite le trio en studio pour qu'il y enregistre une "face B" pour presser un premier 45-tours.
Mais il fait sensation partout où il se produit.
On le surnomme tour à tour le roi du bop western, le Hillbilly Cat ou le flash de Memphis.
On lui adjoint les services du Colonel Parker comme conseiller officiel qui les booke en tournée. Un phénomène étrange se produit alors que plusieurs garçons dans la foule tombent dans des excès de rage constatant l'effet que le jeune homme a sur leurs amoureuses. Le public est très jeune. Et très nombreux. Le succès est total. Quand il fait la première partie de Bill Haley & His Comets, ce dernier parait être d'une toute autre époque, voire d'une toute autre planète tellement il a peu à offrir visuellement.
L'autre est son et images.
On veut l'entendre et le voir.
En janvier 1956, il entre en studio à Nashville avec Black & Moore en plus de Floyd Cramer au piano et Chet Atkins à la seconde guitare. Un premier single est lancé deux semaines plus tard. Le buzz est absolu.
Un roi est né.
Et le public suit le rythme.
La branche des jeunes dans le marché économique musical s'ouvre.
Le 23 mars prochain marquera les 60 ans du lancement du tout premier long jeu d'Elvis Aaron Presley.