Un film de Xavier Dolan (2009 - Canada) avec Xavier Dolan, Anne Dorval, Suzanne Clément, François Arnaud, Niels Schneider
Expressionniste... et très touchant.
L'histoire : Hubert, 17 ans, déteste sa mère. Ses parents sont séparés depuis longtemps et son père ne s'intéresse à lui qu'une ou deux fois par an. Sa colère d'enfant abandonné, élevé par une mère à qui il reproche tout, ressort avec l'adolescence. Violente, brute, injuste souvent. Il déteste ses petites habitudes, il déteste sa maison, il déteste quand elle essaie d'être gentille, il déteste quand elle pleure, il déteste tout...
Mon avis : Le film est sorti en 2009, c'est-à-dire que Xavier avait 19 ans ans quand il l'a tourné... Un talent comme ça, moi ça me sidère. J'espère que ce garçon ne va jamais perdre sa fraîcheur, au contact des bulldozers de l'industrie du cinéma et des majors jackpots. Certains diront qu'il raconte toujours la même histoire. C'est vrai. Mais il est si jeune : pour le moment, il nous sort tout ce qu'il a sur le coeur, et rapidement il y a fort à parier que ses films vont explorer d'autres univers. En attendant, moi je suis totalement fan de ce jeune homme qui a un sens artistique et une sensibilité hors du commun. Je me suis souvent crue "artiste"... mais quand je vois ça, je comprends pourquoi ça n'a jamais marché ! Il faut un truc en plus, une étincelle, une innocence, une insolence, une sorte de détermination qui ne souffre aucun compromis.
C'est ici son premier long, après avoir réalisé plusieurs courts. Il a écrit le scénario de J'ai tué ma mère à seize ans, puis il a rassemblé toutes ses économies pour s'autofinancer. Et il n'a suivi aucune formation en cinéma. Totalement autodidacte. Moi je dis "chapeau bas".
La scène de début vous met dans l'ambiance : gros plan sur la bouche de la mère qui mange. Rien de plus laid dans la vie ! Avec les petites miettes qui restent au coin des lèvres. Le gamin explose de rage ! Et quelque part c'est à la fois féroce et amusant... parce qu'on a tous été énervés un jour par quelqu'un qui mange !
L'histoire est très violente, ce gamin est odieux avec sa mère, qui encaisse tout en râlant un peu mais retrouve le sourire dès que son "loup" se calme. Et alors qu'on serait enclin à la plaindre, on se dit peu à peu qu'elle n'a sans doute pas été le roc sur lequel un enfant doit pouvoir compter. Elle semble trop permissive, trop égocentrique (toujours en train de lui montrer ses derniers achats), trop distraite (elle apprend l'homosexualité de son fils par quelqu'un d'autre), trop j'm'en-foutiste (ça lui passera, au gamin...). Et lui tape, tape, tape, comme s'il espérait désespérément une réaction. Comme il le dit lui-même "on s'aimait, avant". Avant ? Que s'est-il passé ? L'adolescence, sans doute. Les troubles plus profonds qui viennent à la surface et que sa mère n'a pas su voir ni comprendre. Trop d'amour fusionnel, que Hubert refuse désormais car il devient un homme et voudrait que sa mère s'adresse à lui comme à un adulte. Et puis cet autre "problème" qui le taraude, son homosexualité, qu'il n'assume pas encore totalement car il sait les souffrances que la société lui imposera.
Pourtant... et c'est magique... il affranchit sa mère de toute responsabilité dans une scène magnifique où celle-ci soudain explose, suite à une réflexion du proviseur, qui suggère que l'absence de référence paternelle, l'éducation forcément défaillante à cause du manque de temps (elle travaille, bien évidemment) sont sans doute à l'origine des problèmes d'Hubert. Elle crie soudain son désespoir face à l'incompréhension de la société, à l'énormité de la tâche à accomplir quand on est effectivement une femme seule, avec un boulot, face à ses accusations alors qu'elle fut abandonnée par le père, qui lui n'est jamais retoqué... Magnifique.
Ce thème de "l'enfant sans père", au caractère bien trempé, fut un réel traumatisme pour le petit Xavier, qui libère ses chagrins film après film. Cette sorte de psychalyse en direct est bouleversante. D'autant qu'il sait rester positif en toutes circonstances. Sa mère, il l'aime. L'avenir, il le voit brillant. Quand même. Et le film invite à de multiples réflexions : sur la filiation, la parentalité, la maternité, la paternité, l'éducation...
Pour la réalisation, Dolan est un garçon de son temps. Il multiplie les effets, délires visuels, classique, found footage (quand il raconte son histoire face à sa petite caméra), ralentis, onirisme... J'aime aussi la façon dont il a constitué les décors où évolue Hubert. Chez sa mère, c'est kitsch, c'est sombre, vieillot, on peut ressentir l'enfermement. Chez son ami Antonin, c'est beaucoup plus lumineux ; la mère est hyper tolérante, gaie, fofolle. Chez sa prof, les tonalités de bleu procurent un apaisement. C'est un peu cliché comme procédé, mais n'empêche que ça fonctionne ! On pourrait dire que c'est clippesque, ou bien un peu foutraque. On pourrait. Moi non. Je trouve ça artistique ; il s'exprime dans tous les sens, ça fuse de partout, son imagination est bouillonnante. Il est fort probable qu'en vieillissant il entrera dans des chemins plus balisés. J'espère moi qu'il gardera cette fougue, cette fraîcheur, cette fantaisie... j'adore.
Les dialogues sont percutants et là aussi, je reste coite. C'est hyper naturel, et en même temps bourré de répliques diablement bien tournées. Et je ne parle pas des expressions québecoises, je parle bien des dialogues cinglants ou tendres entre la mère et son fils, entre le fils et son petit ami. Et les autres (sa prof notamment). Et puis des petites notes d'humour de temps en temps, pour dédramatiser tout ça et nous mettre en empathie (totale) avec ces personnages qui sont, non pas des monstres, mais des êtres humains tous en quête d'amour...
Pour ce faire, Xavier est fort bien entouré par ses deux actrices fétiches, absolument géniales. Et lui, il est tellement vrai, et tellement beau.
Je mets 8 à ce film. C'est peut-être trop. Mais, plus j'y songe, plus je trouve que cette abondance de talents (écrire, réaliser, jouer, recruter des comédiens, choisir des musiques) qui aboutit à un film bien loin des métrages hyper qualibrés d'Hollywood... c'est magnifique. Ca me touche. Alors c'est 8.
Les critiques sont excellentes, presque tous admirent le talent prometteur du jeune homme, sa hargne, son talent, sa culture artistique. 18.000 entrées seulement en France... mais qui allait tenter un film québecois d'un jeune inconnu de 19 ans ? Personne n'y a cru, dirait-on.
Bon... vais-je m'en prendre plein la tronche comme pour le Skylab de Julie Delpy ?