Magazine Culture

Le piège à filles

Par Carmenrob

Elles viennent généralement de milieux pauvres et elles rêvent. De la grande ville, de richesse, du prince charmant. Elles sont jeunes. Très jeunes. Mineures souvent.

Ceux qui les chassent sont parfois issus du même milieu. Ils ont un jour rêvé, de la grande ville, de richesse, d’un sauveur. Ils ne rêvent plus. Piégés eux-mêmes, ils patrouillent les villages perdus, les aéroports et les gares où ils tendent leurs pièges à filles.

Elles arrivent de n’importe où. Afrique, Europe de l’Est, Amérique du Sud. Elles arrivent de la misère et rêvent d’une vie meilleure. Ça arrive tous les jours. Banal et tragique.

Alena, l’héroïne de La couleur de l’eau, arrive de Russie, de Sibérie. Son rêve : Londres. Elle a appris l’anglais, assez pour espérer trouver un boulot, se refaire une vie, petit à petit. Une ancienne amie de sa mère est venue la recruter jusque dans sa petite ville natale. Diamant au doigt et sac Chanel au bras comme preuves de l’argent facile à faire à Londres. Bien sûr, «l’amie» n’est qu’un intermédiaire, un faucon avec un fil à la patte. Le prédateur, elle ne le croisera que plus tard, lorsqu’il l’aura achetée, et qu’il refermera ses serres sur sa chair tendre.

eau

C’est pourtant davantage une histoire d’amour qui nous est donnée à voir qu’une histoire de prostitution. Le récit commence d’ailleurs un peu plus tard. Alena est surprise par Dave, vigile d’un grand magasin, alors qu’elle tente de chiper une paire de chaussures. Il a le coup de foudre. Elle a besoin de lui. Une histoire d’amour tourmentée, passionnée et à l’issue incertaine en résultera. Une histoire d’amour sur laquelle continuent de planer les vautours.

Kerry Hudson bâtit son intrigue en entrecroisant le passé et le présent, par des retours en arrière qui nous apprennent lentement ce que les amoureux se cachent l’un à l’autre. Et on voudrait les secouer, leur délier la langue, les sortir de leurs échanges entravés de secrets, de peurs, de préjugés.

La couleur de l’eau est un roman haletant du début à la fin. J’ai aimé sa construction, sa facture urbaine et moderne, mais surtout, la consistance des personnages. Dave et Alena sont terriblement crédibles et nuancés. On s’attache à eux comme à des êtres en chair et en os. Ils sont à la fois ambivalents et entiers, blessés et courageux, tendres et violents. De magnifiques personnages! Le style descriptif et l’attention aux petits détails nous placent aux premières loges de l’action, spectateurs captifs, effarés, et qui espèrent contre toute attente un dénouement heureux. Les amoureux de Londres y feront de surcroît un séjour virtuel avec, en prime, une escapade peu banale dans le nord de la Russie.

Kerry Hudson a vu son œuvre couronnée du prix Fémina étranger.

Kerry Hudson, La couleur de l’eau, Éditions Philippe Rey, Paris, 2015, 347 pages.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Carmenrob 225 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines