Voici de nombreuses années que j'ai pris la mer. Mon joli paquebot arborait fièrement l'étendard de la liberté. Refusant un monde convenu qui ne correspondait pas à mes aspirations,
que je sentais en décalage avec mon éthique, j'ai vogué loin des routes ordinaires, refusant toute concession. Il est temps aujourd'hui de faire le bilan de ce long voyage. Qu'en est-il de cette
quête d'une ile utopique, où l'on pourrait être libre de toute souffrance, où ce que l'on est serait plus important que ce que l'on a, où l'on pourrait agir en suivant son coeur plutôt qu'en
suivant des codes sociaux aliénants ?
J'ai fait escale dans de nombreux ports qui semblaient s'approcher de cet idéal. A chaque fois, mon navire s'est fragilisé, et j'ai du reprendre la mer, un peu plus désillusionnée,
beaucoup plus délabrée, mais toujours certaine que ce mouillage n'était pas celui que je recherchais.
Aujourd'hui, mon vaisseau n'est plus qu'un fragile radeau, menaçant de couler à chaque clapotis. Je n'aspire plus a aucune escale. Je reste résignée, ne recherchant plus rien
d'extérieur ou de lointain. La seule raison qui me retient de saborder ce dernier esquif est qu'au fil des escales, j'ai embarquée une passagère qui a aujourd'hui 8 ans, et que je ne veux pas la
condamner à couler avec moi. Je dois trouver un dernier débarquadère pour elle, et je pourrais enfin entreprendre mon dernier voyage, celui qui me conduira à rejoindre le sein des flots, loin de
toute agitation.