Un spectacle musical de Roland Romanelli et Rébecca MaiMis en scène par Eric-Emmanuel SchmittLumières de Jacques RouveyrollisDécor de Nils ZachariasenVidéo d’Antoine ManichonCostumes de Nathalie ChevalierAvec Rébecca Mai (chant), Roland Romanelli (accordéon et piano), Jean-Philippe Audin (violoncelle)
Présentation : L’homme qui accompagna Barbara, à la scène comme dans la vie, nous raconte enfin cette femme unique, surprenante, drôle, passionnée, différente, géniale. Roland Romanelli, accordéoniste et pianiste, est choisi tout jeune par Barbara pour effectuer une tournée.Cette rencontre fulgurante, féconde, complexe, qui devint amoureuse, c’est avec Rébecca Mai, sa compagne d’’aujourd’hui, chanteuse amoureuse du répertoire de Barbara, que Romand Romanelli nous la raconte. Vingt chansons interprétées en direct entrecoupent le récit où alternent confidences de Roland Romanelli et extraits d’interviews données par Barbara…
Mon avis : Roland Romanelli a la nostalgie souriante. Et heureusement ! Heureusement parce que les chansons de Barbara, elles, le sont rarement, souriantes. Elles sont en effet pour la plupart teintées au minimum de mélancolie. Mais, en même temps, ce sont des chansons qui nous plaisent.Roland Romanelli, alias « L’Homme en Habit Rouge » (j’ai compris le titre en voyant le spectacle), nous raconte dons SA Barbara, la femme qu’il a accompagnée professionnellement durant une vingtaine d’années et, plus « bibliquement », pendant huit ans… Même si notre ardente curiosité de voyeur, n’est pas complètement satisfaite, car on aimerait en savoir plus, on sait se contenter des quelques anecdotes qu’il accepte de nous livrer. Roland Romanelli est un pudique. Je pense qu’il a fallu qu’Eric-Emmanuel Schmitt déploie des trésors de persuasion pour l’amener à se confier. Et encore, je suis convaincu qu’il n’en a obtenu que la partie émergée de l’iceberg.
Ceci dit, « iceberg » n’est guère un terme approprié pour qualifier Barbara qui, apparemment, était plutôt dotée d’un tempérament de feu. Mais on ne peut non plus la réduire à cela. Elle était bien plus complexe. Le sang slave qui coulait dans ses veines ajouté aux drames de son enfance et de son adolescence ont fait d’elle un être instable, cyclothymique, d’un romantisme exacerbé ; une femme passionnée aussi, généreuse, à l’humour dévastateur, une femme qui s’est donnée corps et âme à son métier. Barbara était un monstre sacré. Et dans « monstre sacré », il y a « monstre ».
La personnalité hors norme de « La Chanteuse de minuit » est fidèlement transposée dans ce spectacle. Plus qu’une reconstitution, j’y ai vu une restitution. Discret chronique, Roland Romanelli se complaît visiblement dans son rôle de prédilection, celui d’’accompagnateur. Il est tout entier au service de l’artiste. La nouvelle « Dame brune » de sa vie, Rébecca Mai, réussit le tour de force de ne jamais tomber dans le piège de l’imitation. Elle interprète une vingtaine de titres de Barbara en en respectant fidèlement le sens profond. Elle en a soigné le fond tout en y amenant sa forme. La voix est prenante, mouvante et émouvante, et sa gestuelle est légère, gracieuse, féminine. Il n’y a pas de confusion possible, pas d’accaparation. C’est un authentique hommage, vibrant, sensible, intelligent.La mise en scène, remarquablement secondée par les effets de lumières et les images projetées, est aussi sobre qu’efficace. L’Absente est ici symbolisée par son rocking-chair. Quelques extraits d’entretiens nous permettent de réentendre sa voix, si caractéristique avec son débit saccadé, de partager l’intimité de ses confidences, nous la rendant ainsi encore plus proche, plus vivante.
Mais si Barbara est toujours aussi vivante pour nous, c’est grâce à ses chansons. Le choix qui en a été fait n’est pas anodin. Il illustre certains pans de sa vie que Roland Romanelli éclaire de ses propres souvenirs. Il y en a donc de moins connues que l’on écoute avec encore plus d’attention et d’acuité. Et puis, il y a les incontournables, les indispensables, les nécessaires... J’ai vécu, en totale fusion avec tous les spectateurs du Rive Gauche, deux moments d’exception, deux moments d’une force rare. D’abord avec le superbe arrangement qui accompagne et habille Dis, quand reviendras tu ?.Et surtout, il est quasiment impossible de décrire l’émotion qui a étreint toute la salle lors de l’interprétation de L’aigle noir. J’en ai eu le corps parcouru de frissons. Devant moi, une dame essuyait furtivement ses larmes pendant que sa voisine avait ses verres de lunettes complètement embués… Une telle émotion se passe de commentaires. Elle se vit et se partage.Ne serait-ce que pour vivre ce moment-là, cette communion aussi intense, il faut aller voir Barbara et l’Homme en Habit Rouge.
Gilbert « Critikator » Jouin