J'ose espérer...L’élu d’une démocratie digne de ce nom a le devoir d’élever la société dont il est issu, pas de s’abaisser avec elle. Dans le premier cas, il prouve qu’il la respecte ; dans le second, il prouve qu’il la méprise, qu’il ne se respecte pas lui-même !Le pouvoir devrait s’exprimer et s’exercer d’abord par la maîtrise de la langue, ensuite seulement par la maîtrise des flux financiers. Bossuet, Hugo, Jaurès, de Gaulle l’ont bien démontré, si besoin était, qui guidaient l’évolution fondamentale de la société par le Verbe.Priver le peuple de toutes les qualités de sa langue, de toutes ses richesses, de toutes ses harmonies, de toute son énergie, c’est lui interdire de participer à l’exercice du pouvoir, c’est vouloir exercer ce pouvoir sans lui, de manière exclusive et définitive, c’est avoir choisi un mode d’action politique plus proche de l’asservissement que de l’élévation. N’avoir plus voix au chapitre, pour le citoyen ordinaire, c’est n’avoir plus que le droit de se taire, et de marcher ou de crever. C’est ainsi qu’ont fonctionné et que fonctionnent toutes les dictatures dans le monde.Ne nous y trompons pas : la réforme de l’orthographe n’est pas que la question de l’accent circonflexe ou du F de nénuphar, c’est aussi et surtout, celle du mode d’exercice du pouvoir dans une société qui se prétend démocratique, celle du respect et de la liberté fondamentale du peuple.On peut noter, au passage, que Jean d’Ormesson s’est opposé à cette arme de destruction massive de la langue dès sa première apparition (1991) avec de très nombreux défenseurs de notre patrimoine linguistique, dont Bernard Pivot, Philippe Sollers, Frédéric Vitoux. Noter aussi que ce projet de réforme visait plutôt les néologismes qui, par nature, n’ont pas d’histoire, dont on peut donc choisir l’orthographe comme bon nous semble. Noter enfin que si ce projet n’a pas abouti, c’est parce qu’il a soulevé une vague d’indignation et d’opposition dans le pays dont même les syndicats enseignants étaient porteurs. On peut se demander pourquoi c’est aujourd’hui le ministère de l’Education nationale qui prend l’initiative d’un tel chambardement, comme s’il n’avait pas plus d’urgence sur la table (comme, par exemple, de ne pas produire 30% d’illettrés dans chaque contingent annuel d’élèves.) J’ose espérer que ce n’est pas seulement pour faire plaisir à quelques copains concepteurs des livres scolaires qui voient ainsi s’ouvrir des perspectives lucratives de rentrée. J’ai la faiblesse de penser qu’on ne lutte pas contre le chômage en tuant sa langue ! Mon esprit est sans doute tordu, mais j’associe cette « réforme » qui vise à supprimer toute référence à l’histoire des mots, à celle qui vise à retirer des programmes scolaires l’enseignement de périodes complètes de notre Histoire jugées subversives par les trafiquants gouvernants de tout poil. Tuer la mémoire, c’est décérébrer le peuple afin de mieux le manipuler !En serions-nous là ?Relisons, pour conclure, cet extrait de discours prononcé par le poète espagnol Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de son village natal Fuente Vaqueros en septembre 1936 :Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: "Amour, amour", et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : " Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! ". Il avait froid, ne demandait pas le feu ; il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau… il demandait des livres, c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du cœur ! Parce que l'agonie physique, - biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie !"La devise de la Républiquedoit être : la Culture !". La culture, parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière.
"Des livres, des livres" s'exclamait-il. Or les livres sont faits de... mots chargés d'histoire, liés entre eux par des règles.
L'oublier serait prendre le risque redoutable, toujours et partout, avec son âme d'y perdre son... latin !Salut et Fraternité !