Après le succès international d’Intouchables, il était difficile de faire mieux. Et pourtant Omar Sy, César du meilleur acteur 2012, va encore plus loin dans l’interprétation du premier clown de couleur. Il s’est glissé dans ce rôle dramatique comme s’il avait été écrit pour lui alors que ce n’est pas une fiction.
Son partenaire à l‘écran a une filmographie déjà impressionnante. James Thierrée est tout aussi excellent, dans la droite ligne de ce qu’on a pu le voir faire au théâtre : il a été triplement récompensé par l'Académie des Molières en 2006 comme révélation théâtrale, metteur en scène, et meilleur spectacle du théâtre public pour La Symphonie du hanneton, faisant honneur à son grand-père Charlie Chaplin.
Le film commence en 1897, dans le campement du Cirque Delvaux, installé dans un pays minier du Nord de la France. Le directeur cherche à renouveler le répertoire mais rien ne le séduit. Ni la présentation d’un ours dressé ni le numéro qu’un clown blanc (James Thiérrée) cherche à imposer. C’est une époque où les monstres de foire font sensation comme par exemple la femme la plus grosse du monde. Le clou du spectacle est pour le moment un roi nègre (Omar Sy) effrayant qui fait peur aux spectateurs et qui les séduit avec sa guenon.
George Footit est un artiste de cirque (clown blanc, écuyer et acrobate) né à Manchester le 24 avril 1864, arrivé en France en 1880. Il propose à celui qui n'est pas encore Chocolat une association, qui a de quoi surprendre : t’es clown et tu cherches un clown ? Il faut dire qu’à l’époque un clown se produisait seul en scène. Il suggère de travailler sur l’effet de surprise entre ce que le public attend et ce qui se passe vraiment.Leur numéro s’intitulera Footit et Chocolat et sera un immense succès au Nouveau Cirque de Paris, qui était aussi le Palais des Pantomimes. Le duo s'inscrit parfaitement dans le schéma du clown blanc et de l'Auguste. Le premier est le maître de la piste, apparemment digne et sérieux, voire autoritaire, est le plus ancien type de clown. Il est maquillé de blanc, avec des sourcils tracés sur le front. L'auguste au nez rouge, personnage loufoque et grotesque habillé de noir et rouge, est plus récent. On date son arrivée sur les pistes vers 1870.
Pendant une vingtaine d'année, ils imposèrent le duo comique entre un clown blanc autoritaire et un Auguste noir souffre-douleur.
Chocolat sera immortalisé en 1923 au Musée Grévin. Il tombe amoureux de Marie Grimaldi (
Clotilde Hesme) qu’il surnomme
Mademoiselle pédagogique, une infirmière, veuve de docteur qui a un fils charmant qu’il adoptera. D
ans la vraie vie, elle était femme de douanier. Elle a réellement quitté son mari et est restée jusqu'au bout avec lui, risquant trois ans de prison pour avoir osé braver le tabou de l'union d'une femme blanche avec un homme de couleur, en pleine domination coloniale.Il sera sollicité par des marques pour assurer leur publicité. On le verra sur des affiches signées par Joe Bridge pour développer Félix Potin en province.
Paris vous attend prédira monsieur Holler (Olivier Gourmet) le premier manager de spectacle : Ici ça passe ou ça casse il n'y a pas de seconde chance.Mais la réussite de Chocolat est ressentie comme une insulte par les blancs et il est victime de racisme. Aimer un noir c’est alors pire qu’un meurtre. Nous somme à l’époque de l’exposition coloniale où des populations étaient montrées derrière des barreaux avec une pancarte habituellement réservée aux animaux :
Défense de donner à manger aux indigènes, ils sont nourris.
Il est probable que le scénariste a pris quelques libertés avec l’histoire au niveau des dates (c'est e
n 1886, que Footit fit équipe pour la première fois avec Chocolat à Medrano, à Paris. On les vit ensuite à l'Hippodrome du Champ de Mars, puis au Nouveau Cirque) mais l’essentiel y est.
La reconstitution historique est très réussie, qu’il s’agisse des costumes comme des décors.
Le film a été tourné en décors réels, et non en studio à Prague comme on le fait de plus en plus. On prend plaisir à voir vivre ce Paris du XIX°, autour des Grands boulevards, du Théâtre Antoine, de la Porte Saint-Martin, du musée Grévin et de la
Brasserie Julien qui, encore aujourd’hui est un joyau de l’Art Nouveau.
J'y ai dîné il y a quelques jours à cette même table où une scène du film a été tournée.
La photographie vient d’être inventée. Les frères Lumière (joli duo interprété par les frères Podalydès) tournent en 1900
la Chaise à bascule que le public peut voir après le générique dans sa version originale,
montrant un de leurs numéros filmé au Nouveau Cirque, rue Saint-Honoré, à Paris.Une plaque commémorative a été posée à l'endroit où ils jouaient tous les deux en lien avec la sortie du film, par Anne Hidalgo, la maire de Paris, pour rendre un vibrant hommage au premier artiste noir français, ainsi surnommé en raison de la couleur de sa peau.J’ai été très touchée par le destin de cet homme qui fut ami avec Toulouse Lautrec qui le dessina plusieurs fois, qui a côtoyé Firmin Gémier (directeur du Théâtre Antoine), Victor Segalen, et qui fut initiateur de la thérapeutique par le rire avec la venue de clowns dans les hôpitaux. Sur ce point le film est tout à fait exact. En ce sens il fut un artiste hors pair car être artiste c’est ouvrir la brèche, montrer l’exemple, comme le dit son compère. J’ai été saisie par l’aspect dramatique de sa vie, broyée par les jeux d’argent et l’alcoolisme après avoir connu quelques années de jouissance. Il fut un des premiers à rouler dans une voiture, et à toucher de gros cachets. J’ignorais qu’on lui devait l’expression être chocolat qui signifie se faire avoir.Le duo se séparera et Chocolat poursuivra sa carrière tant bien que mal en travaillant dans la troupe du cirque Rancy de Bordeaux où il décédera en 1917 à 49 ans. Footit mourra à Paris le 29 août 1921 à l'âge de 57 ans. Il fut enterré au Père-Lachaise, division 93, où on peut encore voir sa tombe. Il a tracé l’avenir de clowns comme Grock ou Fratellini.
Quant à Omar Sy, il démontre, comme Bourvil, sa capacité à poursuivre une double carrière dans la comédie et le drame.
C'est à l'historien français Gérard Noiriel, spécialiste de l'immigration, que l'on doit d'avoir reconstitué l'histoire oubliée de Rafael Padilla, permettant du coup à Roschdy Zem de porter à l'écran cette ode à la tolérance.Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Julian Torres