Exposition Bentu à la Fondation Vuitton
Où en est l’art chinois ?
Du 27/01/2016 au 02/05/2016
La Fondation Louis Vuitton convie 12 artistes chinois et confronte leurs œuvres à celles de ses collections. L’exposition Bentu n’a pas la prétention de classer, ni d’inventorier, mais de révéler des individualités. De fortes personnalités. Pourtant, malgré la variété de leurs approches, les artistes invités s’interrogent tous sur la place du patrimoine chinois dans un contexte de mutation profonde.
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris
Site officiel : fondationlouisvuitton.fr
Lundi, mercredi et jeudi : 12 h – 19 h
Nocturnes le vendredi jusqu’à 23 h
Samedi, dimanche : 11 h – 20 h
Tarif : 14 € (tarif réduit : 5 à 10 €)
Zhang Huan, Long Island Buddha, 2010
Courtesy de l’artiste et Pace Gallery
UN CHOC DE TITANS
L’écrin grandiose bâti par Frank Gehry appelle des œuvres monumentales : cette nouvelle exposition organisée par la fondation de Bernard Arnault se distingue encore une fois par les dimensions vertigineuses de ses pièces. Ce n’est pas un moindre atout, puisque le public le plus hermétique y trouvera à coup sûr des « sensations ».
Ainsi, personne n’est obligé d’apprécier la démarche du plasticien touche-à-tout Xu Zhen quand il empile une Victoire de Samothrace – à l’envers – sur un buste de Bodhisattva, mais la prouesse technique ne peut pas laisser indifférent !
Et cette folie des grandeurs n’est pas anodine dans un pays qui compte plus d’1,3 milliards d’habitants. Tous les plus grands artistes semblent vouloir repousser les limites et les ateliers les plus prospères se transforment en usines. Ainsi, on ne s’étonnera pas d’entendre Xu Zhen déclarer « qu’un artiste aujourd’hui, c’est une marque. »¹. Le plasticien de Shangaï a fondé en 2009 la MadeIn Company, une entreprise de « production culturelle » qui gère autant la diffusion que la production de ses œuvres.
Xu Zhen, Eternity-Tianlongshan Grottoes Bodhisattva Winged Victory of Samothrace, 2013
Fibre de verre, acier, ciment, 626 x 460 cm
Courtesy the artist & Madeln Company
DIASPORA ET CHINE CONTINENTALE
Par son intransigeance, la politique culturelle de la Chine a eu pour principal effet de diviser sa scène artistique. Le fossé se creuse entre l’inspiration des créateurs dissidents d’une part, les artistes qui se forment en occident avant de regagner leur pays d’autre part et, enfin, les artistes restés au pays, dont certains rencontrent des succès démentiels dans les ventes aux enchères de Beijing.
Qui connaît Cui Ruzhuo, le troisième artiste le mieux côté dans le monde, en dehors des cercles sinophiles ? Son travail à l’encre et au pinceau demeure intimement lié à son berceau culturel et n’en traverse quasiment jamais les frontières. C’est également le cas des cinq artistes chinois de moins de 30 ans les plus recherchés au monde d’après Artprice².
Hao Liang, The Virtuous Being (détail), 2015 / encre sur rouleau de soie, L. 1312 cm
Courtesy de l’artiste et Vitamin Creative Space
Ni ces artistes, ni Cui Ruzhuo ne sont présents à la Fondation Vuitton. En revanche, les commissaires de l’exposition ouvrent de nouveaux horizons au public européen en conviant Hao Liang. Né en 1983, ce jeune peintre s’approprie à merveille les codes de la peinture traditionnelle de paysage, mais les utilise pour interroger l’urbanisation galopante. Son œuvre The Virtuous Being conte l’histoire d’un jardin Ming, détruit pendant la Révolution culturelle avant d’être transformé en parc d’attraction.
L’art chinois est ainsi devenu pluriel et il devient inconcevable de le résumer à quelques mouvements. Mais en dépit d’une variété infinie des techniques et des démarches, le patrimoine de l’Empire du Milieu semble obséder et enivrer les différentes communautés artistiques.
Qiu Zhijie, From Huaxia to China, 2015 / encre sur papier, 370 x 120 cm
Courtesy de l’artiste et Galleria Continua, San Gimignano/Beijing/Les Moulins/Habana
Cartographie fantasmagorique des philosophies, spiritualités, histoires et politiques chinoises
TRADITION ET MUTATION DANS LA « LA TERRE NATALE »
Le titre de l’exposition, Bentu, signifie « terre natale ». Mais le panneau d’introduction précise et nuance ce choix : « ce terme ne renvoie pas à un nationalisme, mais recouvre un concept dialectique qui concilie le local et le global dans un processus d’universalisme et de redécouverte critique de l’identité propre. »
Chez les expatriés, cette réflexion s’exprime souvent par la confrontation des traditions orientales et occidentales, mais on la retrouve également chez les « chinois de Chine » par une analyse subjective des mouvements sociaux et économiques qui métamorphosent le pays de jour en jour.
Liu Xiaodong, My Egypt (série Hometown Boy), 2010 / huile sur toile, 300 x 400 cm
Courtesy Liu Xiaodong Studio
Représentant influent du « Nouveau Réalisme », le peintre Liu Xiaodong (né en 1963) est retourné sur les terres de son enfance pour y dépeindre les mutations sociales et territoriales. À travers des témoignages individuels, les portraits sociaux de la série Hometown Boy dépeignent des évolutions universelles. Le monde ouvrier y cède la place au secteur tertiaire et à un exode brutal. Il écrit : « la classe ouvrière a été engloutie. Soudain, nous nous rendons compte que nous sommes tous des citadins. »
Les artistes nés à partir des années 70 ont vu se rétablir progressivement une certaine liberté de conscience. Ainsi, la génération qui a grandi sous Deng Xiaoping se penche avec avidité sur des traditions ancestrales étouffées par la Révolution culturelle. Et ces symboles spirituels sont convoqués pour aborder l’acculturation contemporaine.
Inspiré par la figure traditionnelle du Bouddha aux Mille Bras, Zhang Huan fait dialoguer le Porte-Bouteilles (1914) de Marcel Duchamp avec une multitude d’attributs iconographiques de la déesse Guan Yin. Un peu plus loin, Xu Zhen la représente également, sous forme de gigantesque statue pop bariolée, générée par un ordinateur. Une génération se réapproprie des divinités pour mieux les interroger.
Huang Yong Ping, Cinquante bras de Bouddha, 1997–2013 / Métal, plastique, polyester, objets divers, 477 × 404 cm / Courtesy de l’artiste & galerie Kamel Mennour
Les occasions sont trop rares d’interroger les évolutions de l’art chinois dans leur globalité. L’exposition Bentu nous offre un panorama enrichissant des évolutions qui agitent une scène artistique grandissante : en 2014, la Chine concentrait à elle seule 40% du marché mondial de l’art contemporain³.
NOTES :
1) Article de Roxana Azimi publié le 15/01/2016 sur LeMonde.fr
2) Focus Artprice : fr.artprice.com/artmarketinsight
3) Artprice, Le Marché de l’art contemporain 2014 : rapport annuel Artprice, p. 23
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