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Loin d'obtenir l'union nationale, François Hollande est parvenu en moins de trois mois après les attentats à fracturer la classe politique comme jamais. Au-delà des désaccords politiques qu'il suscite, Hollande parait surtout incroyablement maladroit, et inefficace.
Vendredi, la représentation parlementaire du pays est invitée à examiner la loi d'extension constitutionnelle de la déchéance de nationalité. La mesure, annoncée à chaud dans l'émotion des attentats de l'an passé, a été confirmée à froid, assumée à froid, défendue à froid et sans conteste par l'équipe Hollandaise. Elle a provoqué le départ de l'icône Christiane Taubira.
Elle a fracturé sans doute plus lourdement que tous les reniements politiques précédents.
" quand les dégoûtés s’en vont, il ne reste que les dégoûtants". La citation d'un ministre belge est rappelée par Jean-Luc Mélenchon en début de semaine.
Devant une Assemblée désertée, Manuel Valls s'est voulu grandiloquent. Il répond un à un aux interpellations des chefs de groupe. Il appelle, sans rire; à "l'unité sans faille". "Cette union sacrée est un impératif". Il toussait secrètement. A sa gauche, il a concédé l'hypocrite retrait de la restriction aux binationaux de la déchéance de nationalité dans le texte de loi. Et sa droite, heurtée d'une telle clémence (sic!) s'est du coup fissurée dans son soutien initialement gagné d'avance. Le fiasco est total, le feuilleton va durer encore un mois ou deux, avec une séance au Congrès. Le matin de ce vendredi, Robert Badinter, figure historique et morale de la gauche, l'incarnation de la suppression de la peine de mort contre l'avis des sondages en 1981, ce même Robert Badinter achève cette semaine noire en dézinguant sobrement la déchéance de nationalité dans la presse.
Hollande se réfugie à Bordeaux, pour visiter l'Ecole nationale de la magistrature. Il évite le contact avec les journalistes, il s'écarte des passants. Devant les élèves et les nouveaux promus, il confie qu'il va ajouter au texte de révision constitutionnelle sa promesse de campagne numéro 53, sur le renforcement de l'indépendance des magistrats du parquet. La mesure sort d'un chapeau, comme ça, un vendredi de février 2016. La ficelle est bien grosse pour changer les termes du débat.
Samedi, Hollande est au salon de la boulangerie à Saint-Denis, puis au Stade de France pour assister à la défaite de la France à l'Italie dans le Tournoi des 6 Nations. La pression en faveur de l'organisation de primaires à gauche enfle. Même d'anciens ministres comme Filippetti et Hamon appuient la démarche tant l'actuel locataire élyséen n'est plus légitime.
"La triangulation est en train de nous tuer, de nous asphyxier." Aurélie FilippettiPour certains, jeudi soir, le spectacle était sur France 2. La chaîne publique avait bousculé sa grille, déprogrammé ses émissions pour servir la promotion du bouquin de l'ancien monarque. Nous sommes en 2016 et quelques journalistes ont conservé les réflexes de complaisance du siècle d'avant. Bref, sur le plateau, Sarkozy était seul puisque aucun ministre ne s'était dévoué pour le confronter. Du côté de l'Elysée, la manoeuvre était limpide: il faut re-booster le soldat Sarko, car c'est le meilleur atout de qualification de François Hollande pour le second tour de l'élection présidentielle de 2017. Or Sarkozy n'est jamais aussi bon que lorsqu'il joue les victimes. On se souvient de l'immense show anti-Chirac en 2004-2005. Sarko outragé, Sarko accusé dans une vilaine affaire Clearstream !
Ce jeudi, Sarkozy nous faisait l'honneur d'une séquence télévisuelle fatigante. L'émission fut un flop, à peine 12% des téléspectateurs, comme son rival de droite Alain Juppé.
Le problème de Sarko, c'est qu'on connait tout, on prévoit tout, on devine tout, et on n'apprend rien de lui. Sarkozy avait forcément une énième fois "changé": "j'ai une énergie en moi" expliqua-t-il pour justifier son retour. Il peinait surtout à convaincre qu'il avait encore du jus. Il avalait ses mots, machait la fin d ses phrases. On a souvent comparé Sarkozy à Giscard - élus jeunes, défaits jeunes - ce soir-là l'élève rejoignait prématurément le maitre. "J'ai la politique dans ma vie et la France que j'aime passionnément". Sarko mentait aussi, comme souvent. Il enjoliva son propre bilan. Le premier quinquennat du blog Sarkofrance est à portée de clic pour rappeler quelques évidences: la croissance du quinquennat Sarkozy fut pire qu'ailleurs en Europe. Il enfonça clichés de rentiers - "Quelqu'un qui a travaillé toute sa vie a le droit de transmettre un patrimoine" - ou tautologies de petite campagne - "La République, je ne veux plus qu'elle recule."
Outrancier comme à son habitude, inquiet de ne convaincre cet électorat agité par la surenchère frontiste, Sarkozy plonge dans la même exagération anxiogène sur ces "10 millions de Syriens" qui prétendument vont déferler sur l'Europe et bien sûr la France. Pourquoi pas 20 millions ? L'ancien monarque ne sait parler des tensions du monde qu'en outrances et exagérations. Quant à son revirement le plus fameux, le plus symbolique, le plus heureux, celui sur le mariage gay qu'il refusait hier mais accepte aujourd'hui, Sarkozy a cette incroyable explication, qui re-valide tous les doutes sur la stabilité de l'individu: " Je m’étais mal exprimé et j’ai voulu corriger mon ambiguïté".
"Je suis venu essayer de convaincre les Français que la France a un avenir".
Mais lui, en-a-t-il un, d'avenir ?
Il y a bien eu cette micro-polémique, quelques milliers de Tweets et autant d'indignations ou de réactions sur une réforme profonde de l'orthographe et la disparition de l'accent circonflexe. Les "emballés" par la mesure de l'ineffable gouvernement avaient simplement oublié une chose: vérifier que la mesure était réelle. Elle ne l'était pas. Il y eut peu de polémiques, en revanche, sur bien plus grave. Comme cet aveu, en fin de weekend, d'un ministre des finances d'un gouvernement de gauche qui soutenait ouvertement la dégressivité des allocations chômage. La mesure est poussée par le MEDEF dans l'actuelle nouvelle négociation du régime chômage: "La dégressivité fait partie des solutions qu'il faut mettre sur la table" explique ainsi Pierre Gattaz, le patron des patrons. En 2013, le même Michel Sapin, déjà ministre, s'indignait que le MEDEF propose pareille idée. Trois années plus tard, le changement, c'est maintenant. Manuel Valls et son équipe de bras cassés veulent-ils saborder l'élection de 2017 ? Manuel Valls aggrave la dégressivité de la parole politique. Jusqu''où s'arrêtera-t-il ? Le candidat Hollande est mur pour sa primaire, mais à droite. Que l'on compare enfin, et méthodiquement, les programmes d'un Hollande, Sarkozy et Juppé. Bien sûr, nous trouverons des différences.
A droite, Hollande est plus à gauche que Juppé.
Quel programme !
Moins de la moitié des chômeurs inscrits sont indemnisés par Pôle emploi. Et cette indemnisation est bornée à deux années, plafonnée à 57% du salaire précédent. La moitié des chômeurs indemnisés touchent moins de 500 euros par mois. Et 6% seulement plus de 1.500 euros par mois. Mais il y a quand même des élus et ministres "socialistes" pour considérer que c'est encore trop. La nausée est un accélérateur de rage ou d'abstention.
Aussitôt dit, aussitôt vomi, voici un sondage commandité par le quotidien Les Echos d'après lequel 60% de nos concitoyens seraient favorables à cette dégressivité proposée. Ce gouvernement navigue à vue. Affolé, il prend ses consignes à l'Ifop ou chez OpinionWay. La vraie différence entre Sarkozy et Hollande est peut-être là: le premier trafiquait les sondages en refilant à quelques médias complaisants des enquêtes payées par l'Elysée. Le second et son équipe désorientée suit aveuglement le résultat de ces enquêtes. Le premier a une colonne vertébrale détestable, le second est affreusement liquéfié.
François Hollande est dans une nasse. La République est abîmée, la gauche est détruite.
Ami citoyen, ne désespère pas.