Note : 4/5
Après être passé avec succès de la diffusion à la production de séries (avec des pépites telles que House of Cards, Orange is the new black et plus récemment Sense8), puis à la production de documentaires nominés aux Oscars (The Square, Virunga, What happened Miss Simone, …) Netflix entre avec fracas dans la production de films avec Beasts of no Nation. C’est à Cary Fukunaga qu’on doit cette première incursion du géant américain dans la production de fictions au format long. Rappelez-vous, il avais mis tout le monde d’accord avec Sin Nombre, son premier film en 2009 (à voir si ce n’est pas déjà fait) puis, après une adaptation de Jane Eyre plutôt réussie, il nous avait offert une autre claque, à la télévision cette fois, en réalisant la première saison de True Detective pour HBO. Après avoir conquis le cinéma et la télé, il s’attaque donc cette fois-ci à la plateforme de streaming et, autant le dire, la réussite est à la hauteur de l’attente que pouvait susciter ce film.
Beasts of No Nation
Agu est un jeune garçon africain qui vit avec son grand frère qu’il aime taquiner, son père, sa mère et sa jeune sœur. La vie dans le village n’est pas des plus faciles mais le bonheur est fait de petites choses. Seulement voilà, la guerre est là et divise le pays, si bien que sa mère est obligée de fuir vers la capitale avec sa jeune soeur. Agu ne peut pas les accompagner : c’est un garçon et il est déjà trop âgé. Quelque temps plus tard, des soldats envahissent le village, ils procèdent à une exécution sommaire de tous les villageois. Agu s’enfuit avec son grand frère, mais celui-ci se fait tuer dans sa fuite. Seul dans la jungle et sans repère, Agu va se faire capturer par un groupe armé qui se dit défenseur de la nation et entend bien ramener l’ordre dans le pays. Agu va rencontrer « le Commandant » qui va l’initier aux arts de la guerre et lui apprendre à devenir un vrai soldat.
Le film est une adaptation du roman du même nom écrit par l’auteur nigérien Uzodinma Iweala, paru en 2005. Vous l’avez compris, le film va s’employer à nous donner une vision de la situation des enfants soldats, et comment ces enfants en arrivent là. Cette vision est celle d’Agu, tout le film est tourné de son point de vue. Comment un regard innocent découvre-t-il les horreurs de la guerre, se faisant recruter par un chef qui va lui laver le cerveau au point de le persuader de la justesse de ses actions ?
Le film commence presque comme un documentaire, nous sommes dans un petit village africain, et Agu nous raconte son quotidien en voix off. L’utilisation de ces effets nous plonge directement dans le film et a l’effet de nous secouer vraiment car la dimension réaliste nous empêche de prendre le recul que la fiction peut offrir. Ici point de carton « tiré de fait réels » : le village et le pays dans lequel se passe l’action ne sont même pas nommés. Ce qui importe c’est la situation, qu’elle soit une fiction importe peu. On peut se poser la question de la légitimité de la fiction pour parler de sujets forts, ici nul doute que la fiction était la meilleure façon de raconter cette horreur qui frappe des milliers d’enfants à travers le monde.
La force du film est évidement de ne jamais s’éloigner du point de vue d’Agu. Cary Fukunaga réussit à nous déboussoler à chaque instant. Le film est une vraie montagne russe. Alors qu’on suit la déshumanisation lente et douloureuse de Agu, nous voilà tout à coup devant une scène d’une tendresse inouïe qui nous rappelle que, malgré les horreur qu’ils commettent, nous sommes face à des enfants qui jouent, qui courent dans un champ, qui s’amusent à s’arroser. Le film porte un espoir immense car il nous rappelle qu’en dépit de toutes les horreurs, l’innocence de l’enfance ne disparaît jamais vraiment, elle est juste enterrée profondément. La voix off, présente sporadiquement tout au long du film, nous ouvre une fenêtre sur les émotions de Agu et nous montre un gamin totalement conscient de ses actions. La peur laisse place aux questionnements, à la remise en cause des notions de bien et de mal, puis lentement à la prise de conscience de l’horreur.
Le film est d’une intensité incroyable. Tout est fait pour nous faire ressentir la réalité de l’action et le danger présent partout. Les acteurs sont tous excellents. Le jeune Abraham Attah incarne Agu avec toutes les fibres de son être. Son regard triste contribue énormément à la réussite du film. On le suit dans sa transformation de garçon guilleret en coquille vide qui se sent bien vieux après les événements qu’il a vécus. Face à lui Idris Elba incarne un « Commandant » tout à la fois dangereux, bienveillant et autoritaire. Sa partition est de haute volée et on applaudit la façon dont il reste en retrait. Idris Elba n’est pas le personnage principal, et plutôt que de délivrer une performance, son choix est de servir le film dont il est également producteur.
Copyright Netflix
Si vous n’êtes pas abonné à Netflix, ce seul film pourrait vous aider à sauter le pas. Sinon il faudra attendre une sortie en DVD ou, qui sait, peut-être en salles. Vous l’avez compris : il s’agit bien de l’un des plus grands films de 2015 qui a échappé aux radars. C’est une honte qu’il faut rattraper en se précipitant pour voir ce film par tous les moyens possibles.
Anatole Vigliano
Film disponible sur Netflix