Management & Santé : et si on se laissait travailler par le bonheur ?

Publié le 05 février 2016 par Nicomak @Myriam_Nicomak

« J’ai décidé d’être heureux, c’est meilleur pour la santé »

Voltaire

 

Ces derniers temps, ont été riches en reportages, conférences et autres tables rondes sur des sujets tels que le bonheur au travail, le bien-être, la bienveillance, la liberté[1]…   Ces sujets suscitent curiosité et intérêt mais également scepticisme et critique acide. Quel peut-être l’apport des sciences de gestion à ce débat de société et sa contribution à un meilleur fonctionnement des entreprises ?

L’étude récente sur cette question conduite dans le cadre de la Chaire Management & Santé au travail de l’Université Grenoble-Alpes[2], dont nous avons parlé dans le premier billet de ce blog apporte une pierre à la discussion. Et la navigation à voile fournit une métaphore parlante pour partager les résultats de cette recherche. Le 25 octobre 2015, 45 voiliers s’élançaient du Havre pour une course transatlantique à destination d’Itajaí au Brésil.

L’objectif des concurrents de la transat Jacques Vabre 2015 était d’atteindre le plus rapidement possible Itajaí, capitale brésilienne de la pêche. Sont en jeu, les conditions météo, les caractéristiques du bateau, celles de l’équipage à la manœuvre et celles du navigateur qui va savoir exploiter l’ensemble des caractéristiques au mieux pour mener le voilier à bon port dans les meilleures conditions. Qui des voiles, du vent, des courants, du cap donné, des qualités techniques du voilier et de celles de l’équipage constitue le vecteur le plus efficace ? La question n’apparaît pas en ces termes car c’est la combinaison de l’ensemble des ingrédients qui est importante. Et il convient de n’en négliger aucun.

Nous avons démontré, en analysant les discours de salariés, que pour pouvoir être bien au travail, il faut combiner au moins quatre ingrédients : le Sens du travail, le Lien social, l’Activité et le Confort : c’est le bonheur en entreprise par le SLAC !

L’analyse qualitative et quantitative[3] des verbatim récoltés auprès de salariés de deux organisations publiques et d’une entreprise privée montre que la condition sine qua non pour être bien au travail est de vivre des relations humaines satisfaisantes. Se sentir respecté par les autres, soutenu dans ses efforts par ses collègues et par ses chefs, vivre des temps de convivialité, participer à une communication bienveillante, tout cela est essentiel pour créer ou restaurer les conditions du bonheur au travaille et espérer remporter la course au long cours de la compétitivité. B for Bank, la banque sur internet du Crédit Agricole, a commencé à relever ce défi en investissant dans la formation de ses salariés au « management durable » pour une qualité de vie au travail et une efficacité accrue.

La seconde dimension est celle de la qualité de l’Activité. Se sentir responsabilisé, pouvoir prendre des initiatives et déployer son pouvoir d’action permet d’accéder au bien-être et à l’efficacité. On retrouve ici une dimension qui fait écho à l’entreprise libérée mise en avant par Isaac Getz[4] et évoqué dans un billet précédent par Céline Desmarais. Ainsi, l’équipementier automobile Favi[5] en Picardie ou encore W.L. Gore ont été des pionniers de cette libération du management qui passe par la confiance, l’autonomie des salariés et la disparition des petits chefs au profit d’animateur-coachs. Le fait que chacun puisse prendre des initiatives et dispose de liberté pour organiser son travail selon ses besoins tout en respectant des objectifs et les « lignes de flottaison » du bateau-entreprise apparaît comme générateur de bonheur pour les acteurs et de performance pour l’entreprise. En paraphrasant Yves Clot, nous dirions « Pas de bonheur sans libération du pouvoir d’agir des acteurs ! »

Les troisième et quatrième dimensions sont à 180° l’une de l’autre. Il s’agit du sens du travail : le fameux « pour quoi » et « pour qui » je travaille (le cap fixé) mais aussi le fait de se reconnaître dans des valeurs qu’on partage tous ensemble. La dernière dimension est le Confort : chacun a besoin pour se sentir bien d’un minimum de qualité de ses conditions de travail. Sentir que son travail est pérenne, qu’on a les moyens matériels de bien réaliser son activité sans se ruiner la santé et sans devoir sacrifier sa vie personnelle et familiale à sa vie professionnelle, voilà ce qui constitue le confort au travail.

L’enjeu devient, si l’on file la métaphore maritime, d’arriver à bon port avec l’ensemble de l’équipage en bonne santé, de n’avoir rien cassé sur le bateau et de franchir la ligne d’arrivée en tête ! Bref tout un programme et un champ de recherche à explorer avec comme horizon de construire des organisations humaines et durablement performantes !

Damien Richard

[1] Cf. par exemple l’Université du Bonheur au Travail organisée par la Fabrique Spinoza à l’INSEEC Paris et le documentaire sur le bonheur au travail de Martin Meissonier

[2] Cf. « Du sens, du lien, de l’activité et du confort (SLAC) : une proposition pour une modélisation des conditions du bien-être au travail par le S.L.A.C. », Revue Française de Gestion, vol. 41, n° 249, p. 53-71, Juillet 2015.

[3] Cette analyse a été faite à l’aide du logiciel Sphinx Quali distribué par la société annecienne Le Sphinx.

[4] Cf. Liberté & Cie d’Isaac Getz et Brian Carney, éditions Fayard.

[5] Cf. La belle histoire de Favi L’entreprise qui croit que l’homme est bon de Jean-François Zobrist, éditions Humanisme & Organisation.