L´expédition anglaise (à gauche) et norvégienne (à gauche)
Pour un coup d´essai, c´est un coup de maître. South Pole, le premier opéra pour grande scène du jeune compositeur tchèque Mirsoslav Srnka le fait d´emblée entrer dans la cour des grands compositeurs contemporains. Le compositeur et son librettiste ont réalisé l´exploit de parvenir à tenir le public en haleine pendant deux bonnes heures avec une déferlante de musiques atonales. L´opéra de Srnka contribue à donner des lettres de noblesse à l´opéra contemporain!Cette réussite est due à la convergence de plusieurs facteurs dont le premier est le pari du Directeur général (Surintendant) du Bayerische Staatsoper, Nikolaus Bachler, et de ses équipes de placer la création mondiale d´un opéra contemporain au coeur de la saison, un pari auquel les plus grandes maisons d´opéra ne se risquent pas, ou si peu. Le battage médiatique et la série d´événements organisés autour de la création de cet opéra ont été orchestrés de main de maître: expositions, films thématiques, conférences, installations, publications, rencontres avec les artistes, et jusqu'à un blog consacré a l´opéra, tous les champs de la communication ont été couverts pour contribuer à la réussite de cette création. L´Opéra de Munich s´est acquis la connivence d´ARTE qui propose l´opéra tout un mois durant sur sa télévision par internet, offrant ainsi la possibilité au plus grand nombre de découvrir cette oeuvre nouvelle. C´est ensuite aussi le fait du Directeur général de la musique, Kirill Petrenko, qui a sans doute bénéficié d´un contact privilégíé avec le compositeur, qui s´est mis corps et âme au service de ces nouvelles musiques et qui a su en communiquer la substantifique moelle à l´excellentissime Orchestre d´Etat de Bavière. C´est aussi la qualité des chanteurs de premier plan, natifs anglophones pour la plupart, à l´exception marquée de Rolando Villazon (Scott) qui a su se jouer des difficultés d´un livret en anglais. C´est l ´intelligence du livret fascinant, palpitant même, de Tom Holloway qui s´est concentré sur la psychologie des personnages et la dynamique interne des groupes confrontés aux difficultés physiques et psychiques de l´avancée dans une terra incognita extrêmement hostile. C´est enfin l´évidence scénique d´une mise en scène d´une efficacité redoutable et d´un décor dépouillé minimaliste: Hans Neuenfels a produit un chef d´oeuvre du genre, il a également conçu le très beau décor en association avec Katrin Connan.
Tom Holloway et Miroslav Srnka ont travaillé en étroite collaboration autour d´un idée certes simple mais très parlante et dynamique. Au départ de la compétition entre les deux explorateurs pour la conquête du Pôle Sud, et quoique, on le sait, leurs expéditions aient emprunté des itinéraires totalement différents, les deux créateurs ont imaginé un double opéra, comme ils le soulignent d´ailleurs dans le sous-titre, Eine Doppeloper in zwei Teilen, Un opéra double en deux parties. Cet opéra double consiste à diviser la scène en deux partie égales et à faire jouer tant les acteurs que la musique par un jeu de miroir qui insiste à la fois sur les parallélismes et sur les oppositions, en général de manière synchrone, sauf pour les moments de la victoire de l´équipe norvégienne et ceux de la défaite de l´équipe anglaise, pour lesquels toute la scène est occupée tour à tour par une équipe unique.
Rolando Villazón (Robert Falcon Scott),
Thomas Hampson (Roald Amundsen)
Peut-on écrire la partition des vents, du blizzard et des tempêtes ou, dans le cas d´Amundsen plus chanceux, de la peur de la tempête et de la chance d´un temps plus clément. Rimbaud a su dire la naissance latente de la voyelle blanche: "E, candeur des vapeurs et des tentes, lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles". C´est en musique de Miroslav Srnka s´y applique en rendant l´amplification du son qu´évoquent les explorateurs de ces espaces de l´illimité et de la démesure. Il répond à des koans d´un nouveau genre: le froid extrême a-t-il un son? et quel est le son du désespoir de celui qui se meurt d´un pied gangrené? La musique antarctique de Srnka évoque un univers qui dépasse l´humain auquel se confrontent les deux expéditions dont les sons empreints d´humanité nous semblent bien plus proches, comme lorsque, au tout début de la seconde partie, les chants de Oates (Dean Power) et de Johansen (Tim Kuypers), seuls en scène, évoquent des lettres à leurs mères, avec leurs voix qui se mêlent comme pour un Stabat filius, dolorosus, une lettre que, côté norvégien, Amundsen ne tolérera pas et qu´ajoutant le poignard au malheur, il déchirera. Subjuguant.
Au Bayerische Staatsoper de Munich jusqu´au 11 février, quelques cartes restantes. L´opéra peut en outre se voir sur ARTE Concert en ligne jusqu´au 1er mars 2016
Crédit photographique: Wilfried Hösl