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L'ange gardien (J. Leroy)

Publié le 03 février 2016 par Despasperdus

« On veut tuer Berthet.
C'est une assez mauvaise idée. »

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Petite note à l'arrache puisque j'ai recopié les citations de cette page avant de rendre le bouquin, la semaine dernière, à la bibliothèque municipale en me plantant dans la programmation de la note... Résultat, le billet est publié à l'insu de mon plein gré comme disait quelqu'un. Bref, l'ange gardien est un grand roman, celui d'une époque qui rappelle furieusement la Cinquième République. Un thriller politique, un roman d'amour, un hymne à la poésie...

« Berthet a perdu du pognon. Berthet n'aime pas l'idée de se faire entuber. Berthet a sa fierté. Berthet aime encore moins, au fond, l'idée de se retrouver aussi con qu'un médecin généraliste de province qui a placé ses éconocroques en Bourse et se retrouve à soixante piges avec un patrimoine qui a fondu de 40 %. Berthet a tué un tas de gens importants, Berthet a côtoyé des secrets d'Etat, Berthet a trempé dans des complots tellement bien montés que personne ne s'est jamais aperçu que c'étaient des complots, même les complotistes. Et quand Berthet regarde ses comptes titres et des portefeuilles, Berthet dit qu'il s'est fait avoir, et pas qu'un peu. Alors si l'occasion se présente d'avoir à buter un trader, il n'est pas impossible que Berthet mette des raffinements baroques qui ne lui ressemblent pas, au moment de l'exécution, comme une crucifixion ou un écorchage dans les règles de l'art. »

Berthet est un type qui vit dans l'ombre depuis plus de 40 ans. C'est une sorte d'agent secret, sauf qu'il n'a aucun statut. Il travaille pour l'Etat profond, au sein d'une officine secrète dont l'objectif est de faire en sorte que les institutions défendent toujours les mêmes quel que soit le gouvernement. Berthet n'est pas n'importe qui, c'est un tueur professionnel.

« Il n'y a plus d'enjeux purement étatiques, si ça se trouve, Berthet. Et, ce qu'on appelle l'"Etat profond" en prend acte. Peu importe désormais qu'une multinationale de l'uranium soit publique ou privée. Si la multinationale est menacée dans ses intérêts ou son approvisionnement, on n'hésite plus à déclencher une guerre. On le savait depuis longtemps mais c'est devenu éclatant avec la deuxième guerre d'Irak. Un citoyen même moyennement informé a bien compris ce qui se passait. Des conquêtes de marchés pétroliers, rien d'autre. Défense de la démocratie, mon cul. C'est ce que veulent acter les Modernes. Moi, vous l'aurez compris, Berthet, je suis plutôt un Ancien. Un Ancien qui doute... En plus je vieillis. Je sens bien que l'Unité change sans moi, malgré moi. Je m'aveugle. »

Berthet est un grand professionnel, sauf que l'époque a changé. Sauf qu'il connait beaucoup de secrets. Berthet sait que sa mort est programmée, mais il a deux dernières missions à accomplir, les siennes...

« Ce que les autres appellent le secret, c'est en fait du montage, comme au cinéma. Rien n'est caché en ce monde, c'est une illusion romanesque. C'est l'erreur des complotistes. Tout est visible, su, analysé. Mais de manière anarchique, séparée, non hiérarchisée et ce qui est vraiment important est noyé dans un flux continu. »

Aussi incongru que ça puisse paraître, Berthet est tombé amoureux d'une jeune black issue d'une famille de prolétaires. Un amour filial. Il a agi pour elle sans qu'elle ne le sache, en écartant tout ce qui aurait pû lui nuire dans son parcours scolaire modèle et dans sa vie de femme. Kardiatou Diop a tellement bien réussi qu'elle est devenue secrétaire d'Etat au sein d'un gouvernement social-démocrate en perte de vitesse. Elle va se présenter dans une petite ville de province contre la chef du parti d'extrême droite. C'est un piège. Kardiatou est envoyée au casse-pipe. Berthet le sait.

« Elle m'a quitté juste parce que je suis chiant, et qu'on n'était plus certain de s'aimer. Alors, vos skins étalés dans mon salon, vous savez... Ce sont des brutes décérébrées, des SA en puissance, des abrutis du lumpenprolétariat qui confondent conscience de classe et formule sanguine, qui boivent de la mauvaise bière, écoutent de la musique pourrie, ont probablement une hygiène de vie déplorable et s'enculent faute de filles assez connes pour traîner avec eux. En plus, ils venaient pour me casser la gueule. »

Alors Berthet s'immisce, façon de dire, dans la vie de Martin Joubert. Un auteur de romans et poète à ses heures, comme l'auteur, en perte de vitesse (pas comme JL). Sa concubine l'a quittée. Il boit, il fume, il prend des médocs et il vient de se faire virer de son journal pour avoir refusé d'écrire un livre à la gloire de la leader d’extrême droite... Martin Joubert ne va pas bien mais il a du talent et il a été le prof de Kardiatou. Sa rencontre avec Berthet le sauvera peut-être.

« Nous sommes compétents, et le plus souvent honnêtes, contrairement à ce qu'aime bien dire l'opinion, mais nous n'avons aucune idée de ce que peuvent aimer les corps qui sont derrières nos graphiques et nos statistiques, nos rapports, nos notes de synthèse. Nous mangeons mal et cher dans des restaurants où il faut manger, nous ne lisons plus que des essais politiques, nous sommes devenus aussi cons que des traders. Nous baisons moyennement bien d'autres hauts fonx, nous faisons des enfants parce que ça se fait, nous gérons tout en fonction de nos carrières. La vie est un tableau d'avancement avec comme couronnement la direction d'une grosse entreprise, d'une administration régalienne, et si on fait de la politique directement, c'est pour devenir député, chef de parti, ministre et, qui sait, président de la République. »

Voili voilou. En lisant l'ange gardien, nous reviennent en mémoire certaines disparitions mystérieuses ou le nom d'une organisation souterraine du pouvoir gaulliste, le SAC. Bref, l'ange gardien est un roman noir qui retrace hier et aujourd'hui avec beaucoup de vraisemblances : passionnant !


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