Elle était assise au milieu de l’escalier qui descend dans la salle de lectures, de rencontres, d’échanges, une salle dont les murs sont couverts de livres sur des étagères. Certains s’arrêtaient pour la saluer, d’autres n’osaient déranger la concentration solitaire qui allait la jeter dans les mots de Lautréamont.
Des Chants de Maldoror, elle a choisi celui qui m’avait fortement marqué quand je l’avais lu pour la première fois, ne sachant pourtant s’il fallait en rire ou y puiser de la colère. C’est à la fin du Troisième Chant, la curiosité d’un jeune homme le conduit à la vision d’un cheveu oublié, perdu peut-être, témoignant d’un accouplement compromettant suivi de torture et de meurtre, puis de la rencontre avec le propriétaire du cheveu venant rechercher ici-bas en catimini la preuve de sa débauche d’une nuit et de sa honte éternelle. Trois voix s’enchevêtrent, celle du cheveu, celle du narrateur, celle de Dieu, dont on comprend qu’il est « le maître » du cheveu abandonné puis repris. Cécile Duval raconte cette extraordinaire et épouvantable histoire sans excès, rendant le récit encore plus éprouvant, parce que presque banal. Et c’est bien ce que j’avais ressenti à la lecture du texte, et ce qui m’était resté en mémoire. Dieu tombe dans la proximité des humains, il succombe aux tentations que ceux-ci subissent, et personne n’ose en témoigner. Le diable lui-même estime avoir perdu un ennemi. Le jeune homme curieux quitte la maison de la débauche et du crime et repart « à travers les dédales des rues », comme nous repartirons un peu plus tard dans les couloirs étranges du centre commercial au milieu duquel siège une Place du Poème.
Cette lecture-spectacle était proposée à Ivry-sur-Seine par la Biennale des Poètes en Val-de-Marne.