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Lucien Clergue, photographe, académicien

Publié le 02 février 2016 par Elisabeth1

Jusqu'au  15 février 2016 au Grand Palais galeries nationales
entrée galerie sud-est

Francis Selier A l’homme du sable et du langage de la lumière Angoulême, 11 avril 2014 tirage moderne argentique ; 170 x 150 cm © Francis Selier

Francis Selier
A l’homme du sable et du langage de la lumière
Angoulême, 11 avril 2014
tirage moderne argentique ; 170 x 150 cm
© Francis Selier

Lucien Clergue (1934-2014) n’a pas encore vingt ans lorsque Pablo Picasso décide de le parrainer après qu’il lui ait présenté ses premières photos à la sortie d’une corrida, à Arles (1953). Il accepte de dessiner pour lui la couverture de plusieurs ouvrages à venir et lui présente Jean Cocteau qui l’aide généreusement à structurer le discours de son oeuvre.

Lucien Clergue

C’est grâce à la découverte d’albums de travail à la mort du photographe, restés jusque-là inconnus, que l’on peut saisir la fulgurance et la poésie mortifère qui habitaient alors Lucien Clergue et qui a séduit ces deux grands artistes. Sept albums, notamment de collections textiles pour couturière, récupérés, dont les échantillons de tissus ont été remplacés par des contacts présentent les thèmes les plus radicaux des
premiers travaux de Lucien Clergue : charognes, ruines, enfants déguisés en saltimbanques, gitans, et très vite, la tauromachie et les premiers nus.
Tout est dit de l’âme de ce jeune adulte, encore enfant pendant les
bombardements de la seconde guerre mondiale, qui soigne sa mère, petite commerçante arlésienne, avant qu’elle ne disparaisse alors qu’il est encore jeune.
Célèbre pour ses photographies de nus féminins qui rencontrent la révolution sexuelle des années 60/70, le coeur de l’oeuvre de Clergue est d’une autre poésie.
Cette exposition le raconte à travers un parcours original
qui propose une lecture de l’oeuvre, réduite, réorganisée et dans une nouvelle hiérarchie.

Lucien Clergue
Par exemple : ses magnifiques photographies des gitans d’Arles et des Saintes Maries, prennent une ampleur que l’artiste ne leur avait pas donné de son vivant ne voulant pas être pris pour un reporter à une époque où la photographie
était très clivée. Il était d’ailleurs celui qui avait découvert Manitas de Plata qu’il accompagne dans le monde entier.
Cette mise en place rapide d’une oeuvre trouve son aboutissement dans une thèse qu’il soutient uniquement à l’aide de photographies devant Roland Barthes qui lui reconnait la maitrise d’un langage émergent. C’est l’apogée de la recherche de Lucien Clergue. Il consacre ensuite une grande partie de son énergie à promouvoir
le travail des autres à travers la création des Rencontres Internationales de la Photographie qui deviennent vite le rendez-vous mondial de cet art en plein essor, en parallèle de la gestion de sa propre carrière.

Les premiers albums
Très tôt exposé au Musée d’Art Moderne de New York (1961), la consécration de Lucien Clergue est d’être le premier photographe à entrer à l’Académie des beaux-arts (2006). Son succès vient aussi de sa qualité de conteur. Sa voix, enregistrée à l’occasion d’une exposition fêtant ses 80 ans aux Rencontres d’Arles, accompagne les visiteurs ainsi que quelques enregistrements pour la télévision qui montrent, très tôt, sa
conviction de ce que la photographie va advenir.
Le parcours conçu par les deux commissaires permet de s’immerger, dans les meilleures photographies de cette période féconde, regroupées par thèmes, dans une mise en scène qui rend la visite très dynamique et redonne sa juste place à ce photographe mondialement célèbre.
Le couturier et décorateur de théâtre arlésien Christian Lacroix et le directeur artistique, ancien directeur des Rencontres de la photographie d’Arles, François Hébel, ont été invités par le Grand Palais à réaliser le commissariat et la scénographie de cette exposition pour leur amitié avec Lucien Clergue et leur passion partagée pour Arles, cadre indissociable de l’oeuvre du photographe.

Lucien Clergue

 Ruines, cimetières, saltimbanques, charognes
La mère de Lucien Clergue, qui l’élève seule, rêve d’en faire un artiste. Elle tombe bientôt malade et le jeune Lucien la soigne au quotidien jusqu’à sa mort.
Cette jeunesse difficile aide à comprendre les images sombres des premiers travaux de Lucien Clergue.
Il soumet régulièrement ses recherches à ses amis Jean-Marie Magnan et Jean-Maurice Rouquette. Ce sont ces photos qui séduiront Pablo Picasso à qui Lucien Clergue les présente à l’issue d’une corrida. Ainsi encouragé, il poursuit rapidement avec la série des pierrots et des arlequins, enfants qu’il déguise et fait poser plusieurs après-midis durant dans les vestiges de la ville bombardée, les dirigeant selon des mises en
scène mélancoliques, au coeur desquelles Lucien Clergue dira s’être représenté à travers le petit violoniste.

Lucien Clergue

Picasso, Cocteau, Saint-John Perse
Intuitive au début, la photographie de Lucien Clergue a été encouragée, alors qu’il a à peine vingt ans, par les avis et le soutien déterminants des maîtres qu’il se choisit : en 1953, à la sortie d’une corrida, il présente son travail à Pablo Picasso, qui le considère avec bienveillance et lui conseille de rencontrer Jean Cocteau.
De ces rencontres naît une relation suivie avec les deux hommes, qu’il rencontre très régulièrement à Arles, Paris, Mougins ou Cannes, et auxquels il présente le guitariste gitan Manitas de Plata.
Picasso dessine les couvertures de ses premiers livres ; Jean Cocteau le conseille pour le choix de ses titres et rédige des textes pour accompagner ses photos.
Cocteau invite Lucien Clergue à participer au tournage du Testament d’Orphée dans les carrières des Bauxde-Provence.
Jean-Maurice Rouquette fait remarquer à Lucien Clergue la proximité du poème Amers (1957) de Saint-John Perse avec ses photographies. Un concours de circonstances fait peu après se rencontrer le photographe et le poète diplomate, avec qui il se lie à son tour et pour lequel il illustre une réédition du fameux poème.

Lucien Clergue

Les Gitans
Une importante communauté gitane est implantée à Arles, dont beaucoup de ses membres sont sédentarisés.
Ils sont rejoints chaque année au mois de mai par des nomades de toute l’Europe qui se rendent au pèlerinage de leur patronne, sainte Sara, aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
Cette communauté a longtemps vécu en cercle fermé, maintenant ses traditions, un certain nombre de rituels et possédant un sens de la fête qui n’a pas manqué de séduire Lucien Clergue.
Il constitue un très beau témoignage photographique sur leur quotidien, leurs fêtes, leurs commerces forains, qui contraste avec le travail de recherche plus poétique dont il a fait le coeur de son oeuvre.
Sa fréquentation de la communauté gitane lui permet de rencontrer Manitas de Plata et son ami musicien José Reyes, qu’il aidera à faire connaître mondialement, ainsi que, plus tard, les Gipsy Kings, fils de José Reyes. Avant de devenir célèbres à leur tour, ces derniers joueront régulièrement pour fêter les invités de Lucien Clergue aux Rencontres internationales de la photographie.

Lucien Clergue

Toros
Naître à Arles, c’est, à cette époque en particulier, naître dans l’afición, la tauromachie, les « toros ». Toute sa vie, Lucien Clergue photographiera les corridas depuis le callejón à Arles, Nîmes, Béziers, Séville, Madrid…
L’un de ses tout premiers travaux le distingue : l’agonie du taureau photographiée au ras du sol sous la barrière de protection. Il montre ainsi que l’animal, après le combat, reste le roi de l’arène et a droit d’être célébré au même titre que le torero.
Il réalise sur ce thème son premier film, Le Drame du taureau (1965, prix Louis Lumière 1966), qui est sélectionné pour le Festival de Cannes 1968, hélas interrompu par les événements avant la proclamation du palmarès.

Lucien Clergue

Les premiers nus
Photographiés en plan rapproché sur les plages de Camargue, les corps de femmes aux formes généreuses surgissent des vagues avec une joie et une vitalité infinies, une fraîcheur inédite dans la photographie de nu féminin.
En supprimant les visages du cadre, Lucien Clergue donne à ces corps une dimension universelle. Mais c'est aussi pour pouvoir exposer ses photos, car il lui faut choisir entre les visages ou les corps.
La quête de reconnaissance de ce nouvel art qu’est la photographie, à peine un siècle après son invention, passe alors pour beaucoup par le rapprochement avec le dessin, et le nu féminin reste souvent académique.
Les nus de Lucien Clergue créent une rupture nette avec la manière alors en vigueur.
Ces nus ont un succès immédiat qui doit autant à la publication des ouvrages, où ils accompagnent des poèmes de Paul Éluard ou de Saint-John Perse, qu’à la libération sexuelle du milieu du XXe siècle.
La série Née de la vague acquiert une notoriété qui dépasse les seuls amateurs de photographie et devient aussi célèbre que populaire.

Lucien Clergue

Contrastes
À l’occasion de l’exposition au Grand Palais, il a semblé intéressant de montrer une sélection importante d’images réalisées par Lucien Clergue dans les années 1960 et au début des années 1970.
L’heure est alors au cinétique, au psychédélisme dans l’art. Lucien Clergue poursuit donc son exploration des terres provençales et camarguaises, mais en optant pour des lumières plus radicales. Forts contrejours, reflets, tirages contrastés : il y a là une énergie nouvelle, une intensité très puissante dans ces images graphiques et abstraites qui semblent très loin du jeune Clergue mélancolique.
Lucien Clergue choisit de réaliser pour cette série de grands tirages (50 × 60 cm pour la plupart) dont de nombreux originaux nous sont parvenus. Cent quatre-vingt-dix-huit d’entre eux sont présentés ici.
Cette série, qui représente une étape importante du travail de Lucien Clergue, a été peu montrée récemment et mérite d’être proposée aux regards d’aujourd’hui.

Lucien Clergue

Langage des sables
À la suite de ses échanges avec les photographes américains et de la découverte aux États-Unis des workshops (stages éducatifs) qu’il importe à Arles, Lucien Clergue ressent le besoin de faire valider son intuition créative par une caution universitaire.
Ayant été dans l’obligation de travailler très jeune pour subvenir aux besoins de sa famille et payer les dettes de sa mère, il a quitté l’école trop tôt pour obtenir un quelconque diplôme.
Il revient sur les plages de Camargue où il a effectué ses premières recherches, puis présente une thèse de doctorat en photographie, Langage des sables, qu’il soutient notamment devant Roland Barthes en 1979.
Élaboré à partir de formes et de dessins abstraits et éphémères laissés sur le sable, ce travail au caractère exclusivement graphique séduit les universitaires par sa structure, au point d’être validé en l’absence de tout texte théorique.


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