Au contraire des oiseaux qui, parfois, arrêtent de voler, le législateur, lui, ne s’interrompt jamais. Et quand il ne légifère pas au niveau national sur les péripéties de déchéance, il peut le faire au niveau européen sur le diamètre des mortadelles ou sur les vestes, les blousons et les pantalons de moto.
Eh oui, tout peut être normé, tout se norme, tout peut et doit entrer dans les cases précises que l’une ou l’autre loi définira avec la précision millimétrique que seul le législateur peut atteindre. Tout, y compris les EPI. Les équipements de protection individuelle (EPI), ce sont des vêtements ou accessoires destinés à protéger leur utilisateur des risques d’une activité dangereuse (loisir ou professionnelle, pas de différence), depuis le parachutisme jusqu’à la moto, en passant par la charpenterie ou la politique ou que sais-je encore.
Bien évidemment, cette étiquette ne peut être posée qu’une fois que l’équipement a répondu à une batterie de tests fixés par la fameuse norme.
Or, jusqu’au vote du 20 janvier dernier au Parlement Européen, seuls les gants et les bottes de moto devaient être certifiés pour être commercialisés. Les casques, de leur côté, répondaient à un règlement spécifique (ECE 22-05). Quant aux vestes et autres blousons, la France impose aux fabricants qu’ils respectent la directive de 1989, pendant que les fabricants étrangers peuvent s’en dispenser.
On le comprend : la situation était particulièrement confuse. Et surtout, abominablement déloyale pour les fabricants français d’équipements de moto, obligés de respecter une norme dont leurs concurrents étrangers pouvaient jusqu’alors s’affranchir.
Heureusement, le parlement européen vient d’agir en ajoutant l’article 1.3.4 au chapitre VIII de la directive : « Les vêtements de protection comprenant des protecteurs amovibles constituent un EPI (…) ». De fait, moyennant la date d’entrée en application et la transposition de cet article dans les législations de chaque État membre, les équipementiers français ne seront plus défavorisés par rapport aux étrangers qui devront à leur tour subir les mêmes contraintes normatives.Youpi.
Enfin, youpi, façon de parler.
Parce que si l’on fait preuve d’un peu de lucidité, on voit mal comment l’évolution de la situation améliore sensiblement les choses du point de vue de l’utilisateur de ces EPI, et on remarque surtout la dégradation de cette même situation du côté des fabricants. En fait, à bien y regarder, cette affaire est une nouvelle illustration de deux penchants bien français qui enfoncent toute la société dans un marasme paperassier inextricable.
Le premier, c’est l’insupportable habitude du Gold Plating. En substance, il s’agit de cette manie voire de cette compulsion maladive bien franco-française qui consiste, lorsqu’une directive est votée au niveau européen, à la transposer dans la législation française en accroissant chaque contrainte votée au niveau national, régional et local histoire de pouvoir dire, ensuite, que la qualité résultante des produits et services surpasse de très loin ce que la norme européenne recherche, nananère on est les meilleurs nananère.
Ce faisant, le Gold Plating entraîne une multiplication des coûts cachés et surtout permet de façon discrète à certaines entreprises, qui respectent déjà des standards de qualités très supérieurs à la norme, d’exclure à bon compte des concurrents seulement soucieux de coller aux termes de la directive européenne. Autrement dit, par un lobbying habile et le rehaussement exagéré des normes, les sociétés les mieux placées ferment le marché à leurs concurrents.
Le second, c’est cette nécessité pour les Français d’accroître les problèmes des autres plutôt que résoudre les leurs. Ainsi, les fabricants français, constatant la concurrence étrangère non soumise à toutes les normes franco-françaises issues du « gold plating » expliqué plus haut, ont sciemment choisi, pour rétablir l’équité commerciale, de faire remonter ces exigences au niveau européen plutôt que revenir au seul niveau d’exigence prévu initialement dans la directive.
On est ici exactement dans la même démarche que, par exemple, les taxis lorsqu’ils se plaignent des VTC et couinent auprès du gouvernement pour que ce dernier intervienne en leur faveur : plutôt que demander un alignement de leurs contraintes sur celles, plus légères, des VTC, les artisans-taxis demandent que les VTC soient finalement aussi contraints qu’ils le sont eux-mêmes.
Bref, encore une fois, les Français (et après eux, les parlementaires européens, donc, de facto, tous les Européens) ont choisi la loi et les obligations plutôt qu’en revenir à la responsabilité individuelle qui pouvait largement passer par la contractualisation au travers des assurances.
Bien sûr, dans le cas qui nous occupe, on peut se réjouir d’une augmentation des protections fournies pour les motards. Mais à quel prix ? Il ne faut pas perdre de vue que ces normes ne sont pas des labels, qui permettent de renseigner le consommateur sur la qualité des produits qu’il achète, mais des obligations qui s’imposent à tous les fabricants.
On peut sans mal imaginer que cette nouvelle norme entraînera une hausse des prix. Je ne suis pas sûr que le motard français y gagne. Plus gênant, l’égalité régnant à nouveau parmi les fabricants européens, les français envisageront peut-être la conquête de nouveaux marchés ; malheureusement, les coûts de fabrication répondent aux mêmes tendances que pour tous les autres produits, et si les fabricants français, déjà aux normes, espèrent attaquer les autres marchés de l’Europe, il est encore plus probable que ce sont les fabricants étrangers concurrents qui débouleront sur le marché français… avec des prix inférieurs, leurs charges salariales étant notoirement plus faibles. Attendez vous à des grincements de dents françaises dans quelques années.
En outre, au-delà de toutes ces considérations, il y a un élément inquiétant à cette « normification » (mélange de normalisation et de momification). Si l’on peut comprendre la création de normes dans un cadre professionnel, on peine à comprendre ce dévorant appétit normatif pour une pratique non-professionnelle, voire de loisir comme c’est souvent le cas pour la moto. Le motard, souvent représenté comme un esprit libre, reste en définitive seul responsable de sa propre sécurité, et des labels lui sont largement suffisants pour déterminer la qualité d’un produit.
Enfin, plus pernicieusement, il s’agit, en imposant aux motards ces équipements de plus en plus coûteux, d’une nouvelle façon d’en dissuader la pratique ; le motard, par son esprit libre et aussi parce qu’il est bien malheureusement l’un des principaux contributeur aux statistiques des accidents de la route, est un ennemi direct des autorités. Et dans ce cadre, l’immixtion de la norme et de la contrainte dans une pratique accomplie librement est, encore une fois, une perte claire de liberté, et plus profondément, une entorse de plus à l’esprit même de ce loisir.
Franchement, si l’État, les lobbyistes et les avalanches de normes n’étaient pas là, qui dissuaderait les motards de s’adonner à leur passion ?
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