Note:
Origine : France
Réalisateur : Nicolas Boukhrief
Distribution : Malik Zidi, Dimitri Storoge, François Civil, Nassim Si Ahmed, Ahmed Dramé, Franck Gastambide, Judith Davis…
Genre : Thriller/Drame
Date de sortie : 29 janvier (e-cinéma)
Le Pitch :
Sam, un journaliste indépendant, décide d’infiltrer une cellule djihadiste naissante, afin, notamment, d’écrire un livre. Alors qu’il pensait pouvoir s’en écarter assez rapidement, le jeune homme se retrouve prisonnier d’un engrenage et assiste à l’élaboration d’une opération visant à semer le chaos…
La Critique :
Née en 1995 dans l’esprit de Nicolas Boukhrief, l’idée à la base du scénario de Made in France articule sa dynamique autour de jeunes radicalisés, en passe de passer à l’acte, sous l’influence d’un homme, lui-même sous les ordres de mystérieux dirigeants. La volonté du réalisateur étant de s’intéresser aux personnes situées en bas de l’échelle et ainsi d’étudier les raisons qui peuvent pousser de jeunes adultes à un jour, envisager de prendre les armes au nom d’une cause qu’ils estiment légitime. Un sujet au cœur d’une actualité brûlante, qui rendit le long-métrage plutôt encombrant pour son distributeur. D’abord programmé pour une sortie en salle, repoussée à la suite des attentats du 13 novembre 2015, puis écarté des grands écrans, Made in France sort finalement en e-cinéma. Et c’est précédé d’un message indiquant que le tournage s’est déroulé avant les tragédies de 2015, qu’il débute, prêt à raconter une histoire aujourd’hui douloureusement tangible…
Il apparaît très compliqué d’appréhender Made in France comme un film comme les autres. Peut-être sera-t-il plus simple de le faire dans quelques années, mais rien n’est moins sûr. En l’occurrence, rien à voir avec des œuvres tout aussi concernées, traitant de sujets ultra délicats, mais réalisées des années après les faits. On est par exemple aujourd’hui en mesure de juger pour ce qu’ils sont des films sur la Shoah, même si c’est toujours plus difficile que dans le cas de longs-métrages plus légers. Nous sommes en face d’un film pris malgré lui dans les affres d’un contexte très douloureux. Un film qui pourtant, ne se pose pas entièrement comme la radiographie d’un phénomène alarmant au possible. Pas uniquement, car Nicolas Boukhrief, que l’on connaît pour Les Gardiens de l’Ordre, Cortex ou Le Convoyeur, a toujours eu une approche très « cinéma de genre » de ses sujets. Il n’est alors pas si étonnant que cela de voir sa dernière livraison privilégier l’aspect thriller de son postulat, et non se focaliser en priorité sur des aspects plus dramatiques, comme a pu récemment le faire Thomas Bidegain, avec son remarquable Les Cowboys, qui lui aussi abordait de front les mêmes thématiques, mais sous un angle différent.
Made in France, avec son journaliste infiltré, de mèche avec la police, ses apprentis terroristes et sa mise en scène, qui reste relativement en surface, aurait ainsi, il y a quelques années, pu faire office de film policier plutôt « ordinaire ». Au sein du groupe de jeunes djihadistes, on retrouve des figures bien connues du genre, comme ce leader charismatique ou ce héros rattrapé par une situation qu’il pensait maîtriser. Bâti sur une structure ô combien simple, Made in France se contente très justement de suivre ses personnages au plus près, interroge rapidement leurs motivations, et rallie finalement le point A et le point B sans faire de détour. Du coup, il s’affranchit de toute démagogie, et traduit une volonté d’illustrer un phénomène grave, mais sans juger les protagonistes. Ces derniers n’étant finalement que des jeunes paumés et ignorants, perdus dans une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus, auxquels il est impossible de s’identifier.
Le désir de coller de près à ceux qui reçoivent les ordres, sans même savoir d’où ils viennent et non à ceux qui dirigent, garde le film éloigné d’une démarche trop directement politique. Le discours, c’est entre les lignes qu’il se dessine, et chaque jeune d’illustrer une situation lourde de sens face à leur basculement dans une mécanique de mort dont ils sont les instruments.
Comment les choses ont pu en arriver là ? C’est en substance la question que pose Nicolas Boukhrief. Une interrogation à laquelle il donne une forme accessible. En évitant astucieusement les clichés, il ne force pas le trait et s’en tient au cahier des charges établi au préalable. C’est là où Made in France s’en sort avec les honneurs : il entretient tout du long un équilibre rare, surtout compte tenu du contexte dans lequel il s’ancre. Quitte parfois à ce que la tension accuse quelques ratés, au grès de scènes plutôt inégales. Dommage également que certains personnages ne soient qu’à peine effleurés, comme les deux policiers, plutôt antipathiques (dont un est incarné par Franck Gastambide) ou l’épouse du personnage principal, qui, disons-le tout net, ne sert à aucun moment l’histoire tant elle en est en permanence écartée.
Au premier plan, Malik Zidi et Nassim Si Ahmed remportent la mise, tout en nuances, tout comme François Civil, dont le personnage, se fait portant parfois, assez maladroitement, le vecteur d’un humour discret et pas spécialement bien dosé. Malik Zidi qui incarne d’ailleurs à lui tout seul l’essence profonde du discours et permet ainsi de mettre en exergue la façon dont l’idéologie djihadiste trahit absolument tous les préceptes de l’Islam.
Pour ce qui du reste de la distribution, si Ahmed Dramé s’avère lui aussi très bon, le scénario ne lui donne pas vraiment l’occasion de s’imposer, et c’est dommage, car on imagine que le profil de son rôle lui aurait permis de creuser un peu plus dans une direction intéressante. Dimitri Storoge étant lui aussi un peu limité par un personnage certes important, mais dont les failles et les contradictions qui le définissent ne sont que trop tardivement mises en valeur.
Mû par les bonnes intentions de son auteur, Made in France n’est pas un film parfait. Si il terrifie autant qu’il interpelle, c’est aussi et surtout car ce dont il nous parle fait tragiquement partie de notre quotidien. En lui-même néanmoins, il ne démérite pas et s’avère prenant et formellement soigné. Il pose de vraies questions et rien que pour cela, mérite qu’on s’y intéresse.
@ Gilles Rolland